Radio Canut, repaire des révoltés de Lyon

Depuis 1977, des autogérés animent Radio Canut. Héritiers des luttes ouvrières, ils mettent chaque jour la liberté d'expression sur le métier et se tissent une grille de programmes bien éclectique.

Par Laurence Le Saux

Publié le 23 août 2017 à 12h30

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h47

Elle est née dans la clandestinité, il y a quarante ans, sur les pentes de la Croix-Rousse, à Lyon. Alors Radio Canut-Guignol, elle simplifie son nom en 1981, avant d'émettre légalement quatre ans plus tard. Aujourd'hui, elle brandit fièrement son slogan : « La plus rebelle des radios. » L'âge venant, pas question d'abdiquer ses valeurs. Selon ceux qui la font, Radio Canut (ainsi nommée en hommage aux ouvriers de la soie) est toujours « un lieu de convergence », « où les gens qui, ailleurs, passeraient leur temps à s'engueuler se parlent ». Tous bénévoles, ses animateurs se croisent (ou pas) dans le studio tagué ouvert sur la rue — d'où les passants déboulent, souriants mais un peu gênés, pour demander à utiliser les WC.

“La qualité radio­phonique dût-elle en souffrir, tout le monde peut s'exprimer librement.” – Un principe de la station énnoncé sur son site

Chacun parle ici en son nom, craignant d'incarner un peu trop une station en autogestion. Quelle ligne éditoriale pour Canut ? Autant que de sensibilités réunies — qui balancent toutefois en écrasante majorité à gau­che. Avec une règle commune, pré­cisée sur son site : « La qualité radio­phonique dût-elle en souffrir, tout le monde peut s'exprimer librement dans la mesure où l'émission ne fait pas de prosélytisme religieux et ne profère pas de propos racistes ou sexistes. » Résultat, une programmation étonnante, principalement l'après-midi et le soir. Avec, par exemple, Cannabis circus (pour tout savoir sur le chanvre), Dub action (une émission culte de reggae), On est pas des cadeaux ! (la case « transpédégouine et féministe »), Visages d'Amérique latine, ou encore Echec et glutamate, une analyse passionnée d'un film. Et, pendant les moments de « creux », des « bandes continues », pla­ges musicales ultra éclectiques.

Retraité bientôt septuagénaire, Jean-Pierre Jugnet cisèle depuis trente-cinq ans Ecran radiophonique, une fiction — parfois longue de huit mille pages ! — écrite, lue et bruitée par ses soins. « J'écris des histoires pour sortir de ma vie, mes personnages sont mes amis », précise-t-il. Laurent Combe, lui, a découvert Canut en 1986 : « J'étais alors lycéen, fan de hard rock, et il n'y avait que sur cette radio que l'on pouvait en écouter. Un an plus tard, je proposais une émission, et n'en suis plus jamais parti ! » Il anime désormais Noise pollution, et participe le jeudi à Canut-infos. Ce rendez-vous d'actu, mené chaque jour par une équipe différente, promet « une information libre, indépendante, anticapitaliste ».

“Nous n'avons volontairement aucune relation avec la Mairie ou la Région, afin de préserver notre indépendance.” – Olivier Minot, animateur de Mégacombi

Prudente, la station gère scrupuleusement son (petit) budget — principalement issu du Fonds de soutien à l'expression radiophonique —, dont une bonne partie est consacrée aux frais d'émission. Grâce à un appel aux dons, elle a récemment acheté son local. « Nous n'avons volontairement aucune relation avec la Mairie ou la Région, afin de préserver notre indépendance, explique Olivier Minot, aux manettes du pétulant « radiozine éla-barré » Mégacombi, depuis neuf ans. Nous ne salarions personne, ce qui permet de rebondir plus facilement en cas de coup dur. Et de diriger toutes les énergies vers l'antenne. »

Dans la « salle d'accueil » jouxtant le studio, on refait volontiers le monde autour d'une bière avec une cigarette, une oreille collée au petit poste qui diffuse ce qui se dit de l'autre côté de la vitre. Certes, reconnaissent certains, il faut parfois « se donner des coups de pied aux fesses » pour venir, chaque semaine, mois après mois, animer son heure d'antenne. Mais chacun semble conscient du privilège dont il jouit. Celui de participer à une utopie des années 1970 devenue réalité, précieusement préservée. 

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