Latentes depuis des mois, voire depuis le début de la crise qui secoue le pays, les tensions existantes au sein de l’Association des banques du Liban (ABL) ont éclaté au grand jour cette semaine. Dans un communiqué confirmant des informations relayées par l’agence Reuters, AM Bank (al-Mawarid Bank) a annoncé vendredi sa décision de suspendre son adhésion à l’association et incité les autres banques libanaises membres à faire de même. Le service de presse de l’ABL a aussi confirmé l’information à L’Orient-Le Jour sans la commenter.
La décision d’AM Bank survient deux jours après la diffusion dans les médias de la lettre d'un conseiller de l’ABL, Carlos Abadi, adressée au Fonds monétaire international et taclant l'accord préliminaire conclu le 7 avril entre l’institution internationale et le Liban en amont d’un possible déblocage d’une assistance financière dans le sillage de discussions lancées en 2020.
Le « déni » de l’ABL
Contacté par L’Orient-Le Jour, le PDG d’AM Bank et ancien ministre Marwan Kheireddine indique avoir découvert le contenu de la lettre de l’ABL « sur les réseaux sociaux » et assure ne pas avoir été « consulté au préalable » au sujet de la position affichée, qu’il juge « dommageable » pour le secteur bancaire. Des propos reprenant peu ou prou le contenu du communiqué de l’AM Bank. Dans ce document, la banque critique aussi l’attitude générale de l’Association des banques depuis le début de la crise, en commençant par sa décision de fermer deux semaines durant les agences bancaires en marge du mouvement de contestation du 17 octobre 2019. « Depuis le début de la crise d’octobre 2019, AM Bank estime que l’ABL a pris des décisions qui divergent grandement des intérêts de ses membres, et de ce fait nuisent aussi bien au secteur bancaire qu’aux déposants », écrit AM Bank dans son communiqué.
Pour l’établissement, la décision de fermer a miné de façon irréversible la confiance vis-à-vis du secteur bancaire. Une confiance qui était « la pierre angulaire de la prospérité du secteur pendant des décennies » et que l’Association des banques a ébranlée « en un instant ». Cette position n’est pas sans rappeler celle du gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé, qui avait cité cette décision dans un entretien en 2020 parmi les causes ayant fait éclater la crise. À l’époque, les agences bancaires n’avaient en réalité ouvert leurs portes qu’une poignée de jours en l’espace d’un mois. Mi-novembre, l’ABL avait ensuite généralisé les restrictions bancaires qui avaient commencé à être appliquées de manière désorganisée par ses membres et qui sont encore actives aujourd’hui.
Selon Marwan Kheireddine, la suspension de l’adhésion d’al-Mawarid Bank à l’ABL a pour conséquence de désolidariser l’établissement qu’il dirige des positions de l’association jusqu’à ce que le conseil d’administration de cette dernière modifie en profondeur ses processus de prise de décisions. « Il s’agit d’une suspension provisoire et non d’un départ définitif », insiste-t-il. Exprimant l’espoir de voir d’autres banques le suivre dans cette démarche, le PDG a toutefois assuré qu’il n’a pas l’intention de « détruire l’ABL » et que l’objectif de la démarche ne vise en aucun cas à obtenir la démission de son conseil d’administration actuel dirigé par Salim Sfeir depuis 2019, et qui est au milieu de son deuxième mandat.
Davantage de concertations
Pour rappel, AM Bank ne fait pas partie des établissements bancaires les plus importants du pays en termes d’actifs et de dépôts (les résultats financiers récents ne sont pas disponibles sur son site). Marwan Kheireddine, qui s’était présenté aux dernières élections législatives (Sud III, Hasbaya, inscrit sur la liste du tandem chiite Amal-Hezbollah pour le siège druze de sa circonscription), faisait de son côté partie du conseil d’administration de l’ABL, notamment entre 2015 et 2019, sous les deux mandats du PDG du Crédit libanais, Joseph Torbey.
« L’Association des banques est dirigée par des cadres compétents, mais il faut absolument plus de concertation et davantage de réunions pour aborder ces questions de manière régulière », a-t-il encore ajouté. Dans son communiqué, la banque a utilisé des mots plus durs en regrettant que l’association « reste dans le déni, refuse de reconnaître que ses membres doivent être proactifs et assumer un certain niveau de responsabilité qui soit à la mesure des risques sous-jacents de l’état de leurs bilans financiers ». Aucune banque n’avait officiellement commenté, vendredi après-midi, la décision d’AM Bank. BLOM Bank, que nous avons directement sollicitée, et dont le PDG Saad Azhari fait partie de l’actuel conseil d’administration de l’ABL, n’a pas souhaité réagir.
Également contactée, Bank Audi – dont le PDG Samir Hanna siège aussi au conseil d’administration de l’ABL – « regrette » que l’un de ses membres ait pris la décision de suspendre son adhésion à l’association « qui a joué un rôle important dans le développement de l’économie libanaise », et dont le rôle demeure « indispensable » à l’aube des chantiers visant à redresser le pays et restructurer le secteur bancaire. Bank Audi se déclare en faveur d’un « renforcement de l’ABL et de sa gouvernance, pour un meilleur alignement de ses positions qui impactent l’avenir du secteur, des déposants et de l’économie dans son ensemble ».
La réaction d’AM Bank est en tout cas une des manifestations les plus flagrantes des désaccords qui règnent au sein du secteur bancaire concernant l’attitude à adopter face au FMI et au plan de redressement préparé par le vice-Premier ministre sortant et négociateur en chef de l’équipe libanaise avec le FMI, Saadé Chami. « Une partie des banques sont pour le plan, l’autre contre, et une troisième est encore indécise », confirme une source proche des milieux financiers.
Le cas Abadi
Dans la lettre adressée au chef de mission du FMI pour le Liban, Ernesto Ramirez-Rigo, Carlos Abadi avait jugé en tant que rapporteur de l’ABL « illégal et inconstitutionnel » le plan de redressement préparé par l’équipe de Saadé Chami et approuvé le 20 mai dernier par le gouvernement dans le sillage de cet accord préliminaire. Cette feuille de route présentant les grands axes de la répartition des pertes du pays propose, entre autres mesures, de restructurer le secteur bancaire et de ponctionner une partie conséquente des dépôts afin d’absorber les pertes du pays.
Dans sa missive, Carlos Abadi avait, lui, proposé d’autres mesures, dont certaines étaient alignées sur celles soutenues par les banques et la BDL face aux rédacteurs du précédent plan de redressement élaboré sous le gouvernement de Hassane Diab, à l’époque de la première tentative de dialogue entre le Liban et le FMI et qui avait échoué faute d’accord côté libanais sur la façon d’estimer et de répartir les pertes financières du pays. La mobilisation des actifs de l’État, l’utilisation des réserves or du pays ou encore la « lirification » d’une partie des dépôts avait notamment été listées.
Sur son compte Twitter, l’expert financier Mike Azar a souligné qu’aucune banque n’avait publiquement soutenu les mesures inscrites dans la lettre adressée au FMI au nom de l’ABL, se demandant pourquoi l’association n’avait pas mis un terme à sa collaboration avec le banquier spécialisé des marchés obligataires et directeur de la société de conseil Decision Boundaries qui assiste le cabinet international Global Sovereign Advisory dans sa mission de conseil à l’ABL. L’expert financier a également mis en exergue le parcours ponctué « d’infractions financières » du banquier argentin de 62 ans notamment sanctionné en 2017 par l’Autorité américaine de régulation du secteur financier (Finra).
commentaires (9)
Je présume que l’actionnaire principale de cette boutique qui se fait appeler banque, a mis tous ses avoirs dans des endroits sûrs et s’en fout complètement de l’épargne de ses déposants, il peut donc faire faillite, il ne risque rien
Lecteur excédé par la censure
16 h 17, le 25 juin 2022