(Addis Abeba) Une malnutrition « sans précédent » touche, après dix mois de guerre, les femmes enceintes et allaitantes dans la région éthiopienne du Tigré, a déclaré jeudi soir l’agence humanitaire de l’ONU, peu après l’annonce de l’expulsion de sept responsables onusiens par Addis Abeba.

Dans un rapport publié en ligne, le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (Ocha) décrit également une malnutrition « alarmante » parmi les enfants, alors que grandit le spectre de la famine dans le nord de l’Éthiopie.

« Sur plus de 15 000 femmes enceintes et allaitantes suivies sur la période d’étude, plus de 12 000, soit environ 79 %, ont été diagnostiquées en malnutrition grave », affirme Ocha.

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Un enfant sévèrement malnutri est soigné dans une unité de soins intensifs de l’hôpital d’Ayder, où les médicaments sont presque épuisés et le personnel hospitalier n’a pas été payé depuis juin, à Mekele, dans la région du Tigré au nord de l’Éthiopie. en septembre 2021. Depuis des mois, les Nations Unies tirent l’alarme au sujet de la famine au Tigré. Des documents internes et des témoignages récents révèlent les premiers décès dus à la famine depuis que le gouvernement éthiopien a imposé en juin ce que l’ONU appelle « un blocus de facto de l’aide humanitaire ».

Le niveau de malnutrition modérée parmi les enfants de moins de cinq ans « dépasse également les niveaux d’urgence fixés à 15 %, atteignant environ 18 %, tandis que la proportion d’enfants souffrant de malnutrition sévère atteint 2,4 % », au-dessus du seuil d’alarme de 2 %, souligne le rapport.

Jeudi, le gouvernement éthiopien a annoncé l’expulsion sous 72 heures de sept responsables d’agences de l’ONU accusés d’« ingérence » dans ses affaires internes, dont des membres d’Ocha et de l’UNICEF.  

Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, s’est dit « choqué » et l’ONU a remis une protestation officielle à l’Éthiopie après cette décision jugée illégale par l’Organisation, a indiqué vendredi son porte-parole adjoint, Farhan Haq.  

Après les États-Unis jeudi soir, la France a « condamné » cette décision vendredi.  

Le porte-parole du ministère éthiopien des Affaires étrangères, Dina Mufti, a accusé vendredi les responsables onusiens expulsés de se livrer à des activités illégales et estimé que cette mesure devrait servir de leçon aux autres, selon des propos rapportés par la chaîne de télévision Fana BC, affiliée à l’État.  

« Il apparaît que certaines organisations internationales autorisées à fournir des services liés à la santé sèment le trouble et mettent en péril l’état de santé de la communauté », a déclaré M. Mufti selon Fana BC.

Dans un communiqué publié vendredi soir, le ministère éthiopien des Affaires étrangères a accusé ces responsables de détourner « l’aide humanitaire au profit du TPLF » (le Front de libération du peuple du Tigré), qui combat les troupes gouvernementales depuis plusieurs mois.

Le ministère a ajouté qu’ils étaient responsables de la « diffusion d’une désinformation et de la politisation de l’aide humanitaire » sans toutefois fournir de preuves pour soutenir ces accusations.

« Famine imminente »

Le Tigré est en proie aux combats depuis novembre, quand le premier ministre Abiy Ahmed y a envoyé l’armée éthiopienne pour renverser les autorités régionales issues du TPLF, qu’il accuse d’avoir orchestré des attaques contre des camps militaires fédéraux.

Le conflit s’est enlisé durant plusieurs mois, avant que les combattants pro-TPLF reprennent le contrôle de la région fin juin et que les troupes gouvernementales s’en retirent largement.  

Depuis, les combats ont gagné les régions voisines de l’Afar et de l’Amhara.

Selon l’ONU, 400 000 personnes ont « franchi le seuil de la famine » au Tigré, mais très peu d’aide humanitaire parvient dans la région.

Dans son rapport, Ocha affirme qu’entre le 21 et le 28 septembre, 79 camions d’aide ont atteint le Tigré, depuis l’Afar. « Cela porte à 606 le nombre de camions ayant atteint le Tigré depuis le 12 juillet, soit 11 % des camions nécessaires », précise le texte.  

Addis Abeba affirme que les combats menés par le TPLF empêchent l’aide d’arriver, mais un porte-parole du département d’État américain a récemment déclaré à l’AFP que les accès étaient « refusés par le gouvernement éthiopien », une situation qui s’apparente à « un siège ».

« En cette période de famine imminente et de poignants besoins, le gouvernement éthiopien continue de prendre des mesures pour empêcher l’aide d’atteindre les personnes dans le besoin », a déploré vendredi la chef de l’agence humanitaire américaine (USAID), Samantha Power.

Le TPLF a également dénoncé les expulsions, les qualifiant de « dernier épisode en date des comportements criminels » du gouvernement éthiopien.

L’ONU a pu opérer 17 vols transportant des passagers vers Mekele depuis juillet. En revanche, un seul vol a pu être réalisé depuis mi-septembre dans le cadre d’un pont aérien que souhaite mettre en place l’Union européenne.