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Blog Jérémy Florès #20 : dans l'intimité de sa victoire au Pro France à Hossegor

Jérémy Florès. (Damien Poullenot/WSL)
Jérémy Florès. (Damien Poullenot/WSL)

Depuis 13 ans, Jérémy Florès fait partie des meilleurs surfeurs du monde. Pour L'Équipe, le Réunionnais raconte tout ce qui fait le sel de sa vie de rêve... Pour ce blog #20, il revient en détail sur sa victoire au Pro France à Hossegor.

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« Je suis à Peniche (Portugal) pour l'avant-dernière manche de la saison, et j'avoue que depuis ma victoire de vendredi à Hossegor, je n'ai pas encore surfé. On a fait quelques jours de fête et je n'en avais par ailleurs aucune envie. J'ai dépensé tellement d'énergie sur cette dernière journée de compétition du Pro France que j'étais crevé. Mon corps a bien ramassé, j'ai vraiment tout donné le jour de la finale. Après, j'étais K.-O..

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Ce qui est étonnant, c'est que, comme les autres années, ça commençait mal. Mon premier tour s'est déroulé sur des vagues horribles. J'étais alors persuadé que cette année encore il y aurait ce nuage noir au-dessus de ma tête qui me poursuivrait pendant la compétition. Dès le premier soir, j'ai d'ailleurs commencé à avoir de la fièvre. J'ai passé trois-quatre jours sous antibiotiques à cause d'une sinusite. J'avais de la pression qui me montait à la tête, j'avais mal aux dents, aux oreilles... Heureusement, les vagues n'étaient pas terribles. Ils n'ont donc pas beaucoup avancé l'épreuve. Ça a été à mon avantage. S'ils avaient lancé plus tôt, je n'aurais sans doute pas été capable de surfer dans l'état où j'étais. Ou alors en mode catastrophe. J'étais donc super content dès que c'était « off ».

Le lundi, j'ai quand même réussi à surfer mon round 3 contre Caio Ibelli. Ce n'était pas fameux, mais j'étais tellement content d'avoir passé ce troisième tour... Même avec des petits scores. Car c'est toujours là où je bloquais. C'est comme une énorme pression qui était sortie de mes épaules. Ensuite, pendant trois jours, je n'ai pas beaucoup surfé. J'ai fait deux mini-sessions car j'étais encore très fatigué et sous antibiotiques. Et la météo n'était pas top. C'était un coup à retomber malade. Je me suis donc plutôt reposé.

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Jordy Smith, le déclic

Sur cette compétition, j'ai ressenti énormément de soutien. J'en ai chaque année mais, cette fois, j'ai trouvé que c'était encore plus fort. J'ai reçu plus de messages que d'habitude. Dans la rue, les gens m'encourageaient tout le temps. Vendredi matin, j'étais dans la première série des huitièmes. C'était une belle journée qui s'annonçait, avec une belle houle. Avoir Jordy Smith à La Nord, c'était vraiment une série piège. Lui, il a un gabarit plus grand, il fait des manoeuvres plus puissantes, je savais que la seule manière de le battre c'était les tubes. Je n'avais pas surfé avant le matin en free surf donc je ne savais pas vraiment comment étaient les vagues. Mon père et Miky (Picon) m'ont dit qu'il y avait des tubes et ça m'a motivé. Car, sur des grosses droites au large, ça aurait vraiment été compliqué face à Jordy.

J'ai aussitôt trouvé un bon tube et j'ai automatiquement senti quelque chose de spécial. Car, La Nord, c'est un spot que j'ai énormément surfé ces derniers temps. Avec des planches de 8 ou 9 pieds, avec des gros guns. Ça m'a énormément servi parce que je savais où me placer pour avoir les bons pics, j'étais super confortable. Il était évident que c'était un avantage que les autres n'avaient pas. J'étais content de voir que toutes ces sessions étaient en train de payer. Quand j'ai gagné la série, c'est à ce moment-là que je me suis dit qu'il pouvait se passer quelque chose. C'était super positif et je ne me suis mis aucune pression. Tout allait super naturellement. Ce n'était que du plaisir, que du bonheur. Il n'y avait que des bonnes énergies qui venaient des gens autour de moi, des gens sur la plage, de l'océan. J'avais l'impression que les vagues venaient pour moi. Et à chaque fois que j'ai gagné une épreuve (deux fois Hawaii et Tahiti), chaque dernière journée a commencé de la même manière.

Avant ma demi-finale contre Jack Freestone, j'ai complètement explosé physiquement. J'ai laissé beaucoup d'énergie à La Nord. J'étais vraiment épuisé, mais je ne l'ai pas montré. Je l'ai juste dit à mon père. J'ai donc fait un petit travail de récupération, avec une séance de massages. Je me souviens avoir dit à mon père : ''Celle-là, il va falloir que j'aille la chercher loin''. Là où j'ai eu un peu de chance, c'est que les vagues sont venues casser au bord, à La Gravière. Du coup, peu de rame. La demie se passe super bien. En sortant de l'eau, je suis en connexion avec la foule, qui était à fond derrière moi. Un truc de fou. Je n'avais encore jamais ressenti ça. À Hawaii, la plage est remplie d'Américains et de Brésiliens. Et à Tahiti, il y a finalement assez peu de monde dans la passe. Du coup, c'était hyper puissant. C'est comme si le public m'avait porté.

L'esprit de Pierre Agnès flottait à La Gravière

En finale, Italo Ferreira, le mec à battre, le mec en confiance... Il est capable de tout, il peut te sortir des airs comme des tubes à 10 points. Là encore, il fallait que je sorte le grand jeu. En tout début de série, il y a cette vague qui vient sur moi. C'était une vague compliquée, et je pensais que j'étais un peu trop profond. J'ai essayé de pomper au maximum à l'intérieur du tube pour me donner de la vitesse. Et je suis sorti de justesse, j'ai failli tomber. Le foamball m'a fait faire comme un petit saut dans le tube. Je me suis retenu sur la pointe des orteils. Quand j'en sors, je sais que c'est un gros score. Et j'adopte une posture assez naturelle, il n'y avait aucun calcul. Tu veux montrer du style. Comme je suis un des plus old-school du Tour, je mets les bras derrière le dos, c'est pour rendre hommage à Gerry Lopez, à Kelly Slater... À ce moment-là, tu es en extase et tu as envie de le faire partager. Mon regard ne va pas vers les juges, il va vers la foule, ma famille, mes amis. Un peu comme un guerrier.

Après ce 9,67, c'était loin d'être fait, mais je me suis mis au large. Je n'ai plus pris de vagues pendant longtemps, j'ai eu un gros moment d'émotions. C'est comme si Pierre Agnès (ancien président de Quiksilver, disparu en mer en janvier 2018) était avec moi, comme si son esprit était là. J'ai chialé dans l'eau pendant 5 minutes. Là aussi, un truc de fou. Pierre était un deuxième père pour moi. Et c'est d'autant plus étonnant que je ne suis pas quelqu'un de religieux ou de particulièrement spirituel. Sauf que là, j'ai ressenti quelque chose de vraiment spécial. Comme s'il ne pouvait rien m'arriver et que j'étais accompagné. C'est aussi pour ça que, sur le podium, mes premiers mots ont été pour Pierre.

La Marseillaise et son amour de la France

Ensuite le public entonne ''La Marseillaise''. Toute la plage qui chantait, c'était tellement fort. L'année dernière, avec le titre de l'équipe de France de foot, on entendait l'hymne à chaque coin de rue dans le pays. Là, j'ai eu ce même sentiment de fierté. Je l'ai vu et lu dans le regard des gens, ils étaient heureux comme quand on a gagné la Coupe du monde, c'est un sentiment vraiment puissant.

Quand on me connaît, on sait que je suis un patriote. Je suis toujours à fond derrière la France quel que soit le sport. En ce moment, je regarde beaucoup le rugby au Japon. L'année dernière c'était le football et je n'avais pas loupé un match. Peu importe où j'étais dans le monde, j'enfilais mon maillot et je me débrouillais pour trouver une chaîne qui retransmettait le match. J'ai toujours été très fier de porter les couleurs de la France. Donc là, vivre ce moment-là dans la peau de l'acteur principal, c'était énorme. Je ne pouvais pas rêver d'un meilleur scénario.

Les rues bloquées à Hossegor

On a bien fêté le titre mais ça ne s'est pas arrêté sur la plage. Le soir, le maire d'Hossegor a fermé les rues du centre-ville pour permettre aux gens de célébrer ce moment. En plein milieu de la ville, vers le Café de Paris, il y a une autre ''Marseillaise'' qui a été entonnée. J'étais au micro et toutes les personnes présentes m'ont accompagné, un autre truc de fou. C'était une ambiance de Coupe du monde. Je remercie énormément la ville d'Hossegor d'avoir fait ça. J'étais dans les bras de Marc Lacomare pendant tout l'hymne. Après et pendant la soirée, les moments avec mes copains ont été très forts.

Le samedi matin, j'avais un peu la gueule de bois, c'est sûr (rires), mais je ne réalisais pas et j'espérais de tout coeur que ce n'était pas un rêve. Je me rappelle que du lit, j'appelle ma copine et puis je lui demande : "J'ai gagné ?", pour être sûr. Elle me dit "Oui, tu as gagné !". Et là, j'ai compris que c'était bien la réalité. Depuis, chaque matin quand je me réveille, j'y pense, juste pour être sûr que ce n'était pas un rêve. »

publié le 17 octobre 2019 à 10h06 mis à jour le 17 octobre 2019 à 11h36
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