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Evasion fiscale : plus de 40 milliards de dollars de taxes échappent chaque année à l’Afrique

Lors d’une conférence à Nairobi, des représentants de pays africains ont partagé des solutions pour combattre l’optimisation et l’évasion fiscale des multinationales

Par  (Nairobi, correspondance)

Publié le 16 octobre 2017 à 12h53, modifié le 16 octobre 2017 à 16h32

Temps de Lecture 4 min.

Le siège de l’administration fiscale du Kenya, KRA, à Nairobi en 2015.

Moins de taxes collectées, c’est pour les Etats africains moins de budgets disponibles pour construire des routes et des réseaux électriques, ouvrir des hôpitaux, renforcer l’éducation. « Chaque année, à travers le continent, entre 40 et 80 milliards de dollars [entre 34 et 68 milliards d’euros environ], selon les estimations, de taxes échappent au continent », souligne Tommaso Faccio, secrétaire général de la Commission indépendante pour la réforme de l’impôt international sur les sociétés (Icrict), co-organisatrice d’une conférence sur les flux financiers illicites organisée les 11 et 12 octobre à Nairobi, au Kenya. Ces sommes représentent autant de revenus soustraits aux budgets des Etats, alimentés dans nombre de pays d’Afrique par des recettes fiscales tirées des industries extractives.

« En face des administrations manquant de compétences techniques, on trouve des entreprises qui ont les connaissances, les compétences, les avocats capables de les aider à monter des stratégies agressives d’évitement de taxes », note Ifueko Omoigui-Okauru, une spécialiste nigériane de la fiscalité, également membre de cette instance qui regroupe des personnalités comme l’Américain Joseph Stiglitz ou la Française Eva Joly.

Au sein de ces pratiques mêlant évasion et optimisation fiscale – l’une illégale, l’autre légale bien que très critiquée –, les transferts de marge (ou prix de transfert) totalisent à eux seuls 60 % des montants en jeu, note l’Icrict. Cette pratique consiste pour une multinationale, généralement active dans l’industrie minière ou pétrolière, à vendre à prix limité son or, son cuivre ou son gaz à l’une de ses propres filiales, basée dans un pays à la fiscalité avantageuse. Les taxes, fixées sur les bénéfices, seront d’autant plus réduites.

« Construire des législations adaptées »

Ainsi, en Zambie, un pays producteur de cuivre où le niveau d’imposition sur les résultats se situe, comme dans la plupart des pays d’Afrique, aux alentours de 20 %, « nos chiffres montrent, par exemple, qu’en 2012, pour 500 millions de tonnes de cuivre, les retombées fiscales n’ont représenté qu’un taux de 2 % », cet écart ne pouvant s’expliquer que par des stratégies d’évitement de taxes, illustre Logan Wort, secrétaire exécutif du Forum sur l’administration fiscale africaine (ATAF). Cette organisation africaine et partiellement financée par ses 38 Etats membres vise à pallier leur isolement et leur manque d’information en les aidant à mettre en place des législations suffisamment solides. « Notre but est de montrer que la seule façon pour les Etats africains de lutter contre ce phénomène est de construire des législations adaptées », poursuit ce Sud-Africain.

Depuis sa création il y a huit ans, l’ATAF a conclu avec 16 pays des programmes d’intervention qui passent par la mise en place d’une unité de juristes travaillant en lien avec les autorités fiscales, l’étude des textes en place, la construction et la rédaction d’une législation renforcée, tenant compte de diverses pratiques, à commencer par les prix de transferts.

L’Ouganda figure parmi les pays cités par Logan Wort qui ont pris la mesure de cet enjeu et protègent leurs intérêts par le droit. En 2015, ce pays d’Afrique de l’Est a remporté devant la Commission des Nations unies pour le droit commercial international, à Londres, un litige qui l’opposait à la compagnie Heritage Oil pour quelque 400 millions de dollars. « Si ce pays n’avait pas eu de loi adaptée [en l’occurrence sur les plus-values], il les aurait perdus, poursuit cet ancien salarié du Trésor sud-africain. Pour un pays comme les Etats-Unis ou la France, ce n’est peut-être pas dramatique, mais pour l’Ouganda ou le Swaziland, c’est une part significative de leur budget. »

Des avancées fragiles

A l’heure où les investissements étrangers accompagnent la croissance de beaucoup d’économies africaines, la situation est en passe de s’améliorer, soulignent les intervenants de la conférence. Néanmoins, les avancées ne sont pas gravées dans le marbre pour autant. En Tanzanie, un pays où l’optimisation fiscale coûtait encore il y a peu 660 millions de dollars annuels à l’Etat, des réformes comprenant un contrôle accru du Parlement sur les contrats miniers ont été votées peu après l’arrivée du président John Magufuli. « Mais quelques mois plus tard, les pouvoirs du Parlement ont été remis en cause, et ce contrôle a été retiré de la législation », déplore Amani Mhinda, directeur exécutif de Haki Madini, une ONG qui lutte, dans une longue tradition de mobilisation de la société civile en Tanzanie, pour que les populations bénéficient des retombées financières des ressources naturelles.

Pour garantir que cette manne profite concrètement aux citoyens, Kojo Busia, du département « développement minier » de la Commission économique de l’ONU pour l’Afrique, propose une autre piste. Pourquoi ne pas faire directement financer par la société minière la route ou le train qui lui permettra d’exporter son or ? « Ce que nous conseillons aux gouvernements c’est, quitte à baisser le niveau (des taxes), d’inclure dans les contrats des exigences sur le financement de telle ou telle infrastructure. » Un moyen de s’assurer dès le départ que l’argent lié à ces ressources naturelles sera consacré aux projets de développement. Car les taxes, une fois collectées, peuvent elles aussi s’évaporer.

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