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Une nouvelle ère avec la Chine ?

L'Occident s'inquiète, souvent à juste titre, des ambitions énormes du dragon chinois. Mais la réponse populiste et protectionniste n'apportera pas de solution réelle. Le président français fait le pari d'une autre approche

Par Eric Le Boucher (éditorialiste aux « Echos »)

Publié le 12 janv. 2018 à 08:43

Le hongre bai brun de 8 ans, selle français provenant d'un petit élevage de la Manche, qu'a offert Emmanuel Macron à Xi Jinping à la veille de son voyage de trois jours, doit se demander non sans angoisse s'il pourra cohabiter avec le dragon. Un cheval né dans le doux bocage normand envoyé brutalement face au reptile à écailles et queue fourchue ? Les deux animaux ont de quoi parler, ils symbolisent deux vieilles civilisations - le cheval de haute école représente l'esprit classique français, le reptile figure le pouvoir brûlant de Pékin. Mais la différence de taille, d'armes et de caractère fait craindre une issue pour le palefroi : se faire dévorer.

La Chine, depuis son entrée à OMC (Organisation mondiale du commerce) en 2001, a englouti nombre d'usines et d'emplois dans les pays développés, elle a conquis la seconde place dans l'économie mondiale, elle entend maintenant opérer une « transition » qui la conduira vers les industries de pointe, avec une détermination en fer et des moyens en or. Parallèlement, elle passe du « soft power » purement économique à un « hard power » militaire dans les eaux asiatiques et bien au-delà. Elle vient d'ouvrir sa première base navale à Djibouti, un port qui fut très longtemps français. Xi Jinping, renommé en octobre à la tête du Parti communiste et de l'Etat, a concentré en ses mains un pouvoir comme jamais depuis Mao. Il a une farouche ambition d'effacer à jamais « l'humiliation » que furent les deux siècles passés de soumission de la Chine par la révolution industrielle occidentale.

Cette reconquête suscite des appréhensions croissantes des deux côtés. En Chine, l'ordre mondial né en 1945 est un monde construit par les Américains et les Européens, la Chine ne s'y reconnaît pas. S'y soumettre serait renoncer. Ouvrir les libertés politiques, comme l'Ouest le lui demande, serait s'exposer à une chute, comme l'URSS défaite par la perestroïka. En face, côté cheval, la défiance est à la même hauteur : la Chine ne joue pas le jeu, elle ferme à son gré les marchés aux investisseurs, elle subventionne à gogo son acier, elle entend bâtir son ordre à elle, par extension de sa zone d'influence domino par domino. Le projet impérial de la « nouvelle route de la soie » est l'instrument de cette domination.

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Quand Trump fait le jeu de Pékin

Quinze ans après l'entrée officielle de la Chine dans le commerce mondial du libre-échange, la poussée populiste dans les pays développés a porté la défiance à un point de rupture. Les perdants du libre-échange votent pour des solutions protectionnistes, qui ont certes du mal à se mettre en place concrètement, mais qui montrent un état d'esprit belliqueux. Donald Trump en est le soldat : la Chine doit être amenée de force à suivre les règles « de réciprocité », sinon les marchés se fermeront. Ils se ferment déjà pour certains secteurs stratégiques, y compris en Europe, y compris en Allemagne. Ils se fermeront de plus en plus, les électeurs l'exigeront. On s'achemine donc vers une confrontation économique, politique, civilisationnelle.

La Chine peut ne pas s'alarmer. Trump, élu pour la contenir, lui ouvre en réalité l'avenir par son ignorance et son isolationnisme. Les populistes occidentaux sont des Trump, des idiots utiles, leurs « solutions » ne marcheront pas, ils vont affaiblir plus encore leur pays, il suffira donc d'attendre un peu que leur tour passe. Les divisions du monde occidental n'ont jamais été aussi grandes, même l'Europe se défait. La Grande-Bretagne vient aujourd'hui implorer des investissements chinois comme, hier, la Grèce l'a fait. Le Pirée est devenu le port avancé de la route de la soie, Londres le deviendra. Un Hong Kong en Europe. L'offensive chinoise n'a au fond rien à redouter de sérieux.

Les Etats occidentaux sont sans argent, les politiques sont sans idée pour ranimer leurs « territoires » que de faire des concessions aux futurs investisseurs chinois, les milieux d'affaires sont devenus si rapaces qu'ils ne regardent plus que leurs bénéfices immédiats et perdent de vue les intérêts stratégiques de long terme. Rien n'impose à Xi Jinping de retenir le dragon d'avaler le cheval.

Reconstruire le multilatéralisme

Emmanuel Macron, qu'aucune grande ambition n'effraie jamais, vient de proposer une solution alternative à la grande confrontation. Ce sera Trump ou moi, a-t-il dit aux Chinois. Dans un discours d'une heure et demie à son arrivée à Xian, la ville aux soldats d'argile, le président français n'a pas essayé de calmer l'angoisse de son cheval, il a expliqué au dragon qu'il fallait le respecter. Emmanuel Macron veut ouvrir « une nouvelle ère », reconstruire le multilatéralisme pour le XXIe siècle et le faire cette fois-ci avec la Chine. L'ordre du monde est sens dessus dessous, les enjeux sont globaux, la Chine fermée sur elle-même depuis deux millénaires n'y arrivera pas. Elle n'a aucune expérience de la diplomatie internationale, la route de la soie fut tracée non par les Chinois mais par les Portugais, a rappelé l'impertinent. Que la Chine se méfie de l'impérialisme, la France peut en parler, il ne conduira qu'à l'échec.

Dans « la clarté et la confiance », l'issue est « par le haut ». Le dialogue doit se rouvrir avec l'Europe, partenaire « qui est de retour ». Il faut de l'intelligence (mieux se connaître), de la justice (vouloir le véritable progrès humain) et de l'équilibre (un partage des gains). On ne sait ce que M. Xi et le comité permanent du bureau politique du PCC ont pensé de cette visite. Un petit rien, le soubresaut d'un petit Français prétentieux dans la grande histoire de la reconquête chinoise ? L'invitation faite au nom de l'Europe devrait être méditée. La Chine n'aurait jamais été ni conquise et ni gardée sans le cheval.

Eric Le Boucher (Editorialiste aux « Echos »)

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