Le tour d’Allemagne de l’Orchestre national de Lyon

À peine leurs valises posées, bien des membres de l’Orchestre national de Lyon (ONL) se sont rendus à l’église Saint-Thomas. Là où est inhumé Jean-Sébastien Bach, le génial Cantor de Leipzig. À l’entrée de l’édifice, la dalle mortuaire sobre et sombre attire les mélomanes-pèlerins comme en témoignent les bouquets qui la jonchent.

« Pour moi, ce début de tournée en Allemagne est synonyme d’hommage aux disparus, constate l’altiste Carole Millet. Hier matin à Berlin, notre première halte, je suis allée sur la tombe d’un oncle et d’une tante. Un moment profondément émouvant… » Issue d’une famille mixte franco-allemande, la jeune femme évoque dans un sourire ces parents décédés « très mélomanes et toujours tirés à quatre épingles quand ils assistaient à un concert. J’ai beaucoup pensé à eux en jouant à la Philharmonie. »

Une tournée symbolique

La harpiste Éléonore Euler-Cabantous vit, elle aussi, la tournée en Allemagne de l’ONL comme « un moment très particulier. Fouler le plateau de la Philharmonie de Berlin – une première pour notre orchestre – ou du Gewandhaus de Leipzig, représente une sorte de Graal et nous devons nous en montrer dignes.La dimension humaine et historique de ces concerts, en cette année du centenaire de la fin de la Guerre de 1914-1918, est également d’une grande intensité.

L’artiste éprouve profondément le « pouvoir universel et réconciliateur de la musique : quand on grandit dans une famille franco-allemande, on s’interroge sur la manière dont les générations passées ont dû affronter la culpabilité, la question du pardon, de la mémoire, de la transmission d’une histoire complexe et douloureuse. »

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Cette tournée du centenaire, décidée il y a plusieurs années, s’articule autour d’œuvres du répertoire symphonique propices à mettre en valeur les qualités de l’ONL (cordes soyeuses, vents volubiles et charmeurs…) et à séduire le public. Mais la portée symbolique du programme est tout aussi déterminante.

Pour le chef américain Leonard Slatkin, qui retrouve la phalange dont il fut le directeur musical de 2011 à 2017, « il fallait bien sûr faire entendre de la musique française. Le Tombeau de Couperin de Maurice Ravel allait de soi, puisque chaque mouvement de la partition fut dédié par le compositeur à un ami « tombé au feu » pendant la guerre de 1914. »

Sans vouloir colorer les concerts d’une tonalité funèbre, Leonard Slatkin leur donne cependant une gravité appropriée en commençant par l’Adagio pour cordes de Barber, page fameuse et poignante dans le chuchotement comme dans le cri avant un retour au silence. Achèvement ou nouveau commencement ? « Nous le jouons comme un mémorial…, confie le chef. Chaque interprète, chaque auditeur, de quelque pays qu’il soit, le comprend et le reçoit à sa façon. »

« La vraie joie est une chose sérieuse »

Jumelée avec Lyon, Leipzig a invité une délégation officielle de sa « sœur » française. Lors des traditionnels discours d’après-concert rappelant les liens qui unissent les deux cités, la devise du Gewandhaus, tirée de Sénèque, fut judicieusement rappelée : « Res severa verum gaudium », à savoir « La vraie joie est une chose sérieuse ».

« Res severa », en effet, que cette commémoration de la paix revenue après la boucherie des tranchées. Certes, 1918 n’est pas célébrée en Allemagne mais le centenaire de l’Armistice rappelle combien l’Europe unie est une réalité récente au regard de l’histoire et fragile… « Nos deux villes, fières de leur culture, de leur dynamisme commercial – Lyon et Leipzig furent de grandes places de foires – sont liées comme le sont désormais la France et l’Allemagne », assure Georges Képénékian, maire de Lyon jusqu’au retour de Gérard Collomb, le 5 novembre.

« Verum gaudium » aussi, grâce à l’enthousiasme fervent de l’ONL dont la cohésion, la clarté des timbres et la flexibilité des phrasés se sont largement épanouies dans la grisante acoustique du Gewandhaus. Et parce qu’une présence française doit aussi flirter avec d’aimables clichés, Leonard Slatkine et ses musiciens auront offert en bis un frénétique Cancan signé Offenbach, compositeur d’origine allemande sacré roi de Paris ! « Standing-ovation » garantie et méritée.

PAROLE

« Une telle tournée est capitale pour le rayonnement de l’ONL »

Aline Sam-Giao

Directrice générale de l’ONL

« Une tournée en Allemagne, patrie de la musique, est capitale pour notre rayonnement international. Nous essayons d’y revenir tous les deux ou trois ans. Alors que le recrutement de son nouveau directeur musical est en bonne voie, l’ONL a plusieurs défis à relever pour accroître sa notoriété : par les tournées dans le monde entier mais aussi via les nouvelles technologies avec la diffusion des concerts sur le net, le développement des podcasts, le travail sur la réalité augmentée permettant aux auditeurs de s’immerger dans l’orchestre… Nous imaginons aussi de nouveaux formats de concerts, pour les jeunes – et même les tout-petits dès trois mois ! –, mais aussi pour les actifs qui courent après le temps libre… Un orchestre moderne doit être là où la société se fait, dans la salle de concert et au-dehors. »

Recueilli par Emmanuelle Giuliani

auditorium-lyon.com