Lors de la rencontre entre le président turc et les représentants de l'UE, la présidente de la Commission européenne s'est retrouvée sans siège.

Lors de la rencontre entre le président turc et les représentants de l'UE, la présidente de la Commission européenne s'est retrouvée sans siège.

Capture d'écran/AFP

C'est un affront dont se souviendra longtemps Ursula von der Leyen. Venue à Ankara pour relancer le dialogue avec la Turquie, mardi 6 avril, la patronne de la Commission européenne s'est vue proposer le canapé, quand un fauteuil doré attendait le président du Conseil européen, Charles Michel, au côté de l'hôte du jour, Recep Tayyip Erdogan. Une caméra a capté cette scène des plus embarrassantes. "Ehm", a réagi l'Allemande, interloquée, avec un geste de dépit, au moment où les deux hommes prennent place sur leurs sièges, la laissant debout.

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Alors qu'il réfrène ses attaques verbales contre les Européens depuis plusieurs mois, Erdogan n'a pu s'empêcher de provoquer cette humiliation protocolaire. Une drôle de façon de rebâtir une relation de confiance avec eux : les dirigeants européens en ressortent chacun égratignés. Von der Leyen, pour le dédain avec lequel elle a été considérée. Michel, pour sa goujaterie et, surtout, sa naïveté. "Comment a-t-il pu accepter ce traitement infligé à von der Leyen ?" s'interroge l'eurodéputé français Raphaël Glucksmann sur Twitter. "La violence symbolique de la séquence imposée par Erdogan est dingue. En s'asseyant quand même, Michel s'assoit aussi sur l'égalité femmes-hommes..."

L'épisode en rappelle un autre, tout aussi humiliant pour Bruxelles : celui de la visite en Russie du haut représentant de l'UE pour les affaires étrangères, Josep Borell, début février. Sans le prévenir, Moscou avait annoncé au milieu de son séjour l'expulsion de diplomates allemand, polonais et suédois, accusés d'avoir violé leurs obligations diplomatiques en assistant à des manifestations de soutien à l'opposant Alexeï Navalny.

Accumulation de signes négatifs

Le dirigeant turc vient à son tour de prouver qu'il comptait faire très peu de cadeaux aux Européens, bien qu'il a répété, ce mardi, sa volonté d'un retour à une relation apaisée. "Cela lui permet de dire à son aile conservatrice qu'il reste le chef et ne se mettra pas à genou, quand bien même personne ne le lui demande, explique Didier Billion, directeur adjoint de l'Iris. Cette mesquinerie de sa part envoie un message déplorable, d'autant qu'il est rare que les présidents de la Commission et du Conseil voyagent ainsi ensemble."

Jusqu'à quel point les Européens peuvent-ils faire confiance à Erdogan ? Derrière la volonté de renouer avec l'UE et d'apaiser les tensions de l'année 2020 - liées en particulier aux missions turques d'exploration gazière dans des eaux grecques et chypriotes - les mauvais signes s'accumulent. D'un trait de plume, il a retiré mi-mars son pays de la Convention d'Istanbul pour lutter contre les violences faites aux femmes. Et il fait arrêter dix amiraux à la retraite, après la publication d'une lettre ouverte signée par une centaine d'anciens officiers critiquant son projet de construire un canal à Istanbul - une menace à la liberté de navigation selon eux. Son régime tente également d'interdire le parti pro-kurde HDP, accusé d'activités terroristes. A Ankara, von der Leyen et Michel ont tous deux fait part de leurs préoccupations concernant le respect des "droits fondamentaux".

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Pas sûr que l'incident diplomatique de mardi serve la Turquie, menacée par une crise économique. "Elle continue de subir une chute de sa monnaie et voit l'inflation monter, Erdogan a donc tout intérêt à s'entendre avec l'UE, premier investisseur sur son territoire", remarque Jean Marcou, titulaire de la chaire Méditerranée et Moyen-Orient à Sciences Po Grenoble. A condition qu'Ankara donne des gages, les Européens se disent d'ailleurs prêts à renforcer l'Union douanière avec elle, à reprendre le dialogue sur certains sujets comme la sécurité ou la santé, et à accorder des facilités de visas aux ressortissants turcs.

Les deux parties ont aussi un intérêt commun à maintenir le pacte migratoire les liant depuis 2016 : une source importante de financements pour la Turquie, sur laquelle compte Bruxelles pour empêcher les migrants de rejoindre les côtes grecques. Résolue à faire passer son message, von der Leyen ne s'est d'ailleurs pas formalisée publiquement outre mesure de l'affront dont elle a été la cible. Depuis le sommet européen du 25 mars, Erdogan est prévenu : s'il ne fait pas de "gestes crédibles" et des "efforts durables", d'ici juin, il n'obtiendra rien des Vingt-Sept. Si ce n'est de nouvelles sanctions.

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