Si l’horizon d’un ordinateur quantique ne s’est pas forcément dissipé avec l’annonce de Google, et si certains restent sceptiques sur l’importance de cette avancée, la promesse quantique a toujours ses adeptes. Les géants de l’informatique y voient un nouveau terrain d’affrontement. Intel possède une puce à 49 qubits (le pendant quantique des bits classiques, unité de mesure informatique), IBM en promet 53 pour la fin de l’année, Google en avait annoncé 72 en mars… IBM préfère améliorer la qualité des qubits plutôt que leur nombre. Microsoft explore une voie de qubits de très longue durée. Tous ont déjà développé des langages de programmation maison.
Dans leur ombre, des entreprises font leur trou sur le marché des algorithmes quantiques (QC Ware), du conseil aux entreprises (Quantum Benchmark), des systèmes en ligne pour se faire la main (Rigetti, IonQ), des fonds d’investissement (Quantonation), des simulateurs de ces machines quantiques à base d’ordinateur classique (Atos)… « On est sans doute les premiers à faire de l’argent dans ce marché », a même déclaré Thierry Breton, le PDG d’Atos, lors d’une journée spéciale quantique organisée le 20 juin par BPI France.
A leurs côtés, des sociétés plus inattendues montrent de l’intérêt pour cette nouvelle technologie prometteuse. EDF, Total, Airbus, Bayer, Daimler, Merck ont déjà des groupes de recherche, des activités de veille ou bien des collaborations académiques pour ne pas rater le train quantique, dont ils espèrent de meilleures simulations numériques, des optimisations de certains procédés, voire des découvertes de nouvelles molécules ou matériaux…
D’ailleurs, l’auteur du terme de « suprématie quantique », John Preskill, pragmatique, développe le concept de « Noisy Intermediate-Scale Quantum » (NISQ, « système quantique bruité d’échelle intermédiaire »). L’acronyme, qui évoque le nom d’une architecture pour ordinateur classique, RISC, désigne de « petites » machines d’environ 100 qubits, sans correction d’erreurs, mais qui pourraient résoudre des problèmes de modélisation moléculaire ou de sciences des matériaux. Autrement dit, il s’agit de voir ce qu’on peut faire déjà avec des prototypes imparfaits. Atos, qui propose depuis 2017 des superordinateurs classiques capables de simuler jusqu’à 41 qubits, envisage, d’ici à 2023, de coupler une telle machine NISQ avec un supercalculateur afin « d’accélérer » certains calculs.
Mesures plus précises
Le choix de la technologie n’a pas encore été arrêté et c’est là que l’acteur-clé du domaine, à savoir la recherche académique, a encore son mot à dire, même s’il a été dépassé par les IBM, Google ou Intel. L’ébullition est toujours palpable et a même repris depuis l’annonce de plusieurs plans nationaux d’investissement en Chine, en Europe ou aux Etats-Unis (pour environ 1 milliard d’euros pour ces deux derniers sur les prochaines années).
Ces moyens devraient servir à imaginer des manières, moins gourmandes en qubits, de corriger les fatidiques erreurs. Mais aussi servir à inventer d’autres qubits, dont les plus avancés actuellement, ceux de Google ou IBM, sont aussi les plus anciens. Ces « transmons » ont été inventés à l’université de Yale en 2007. Dans ces circuits à base de silicium, sans résistance électrique et refroidis à – 273 °C, les électrons se comportent comme autour d’un atome : ils n’ont que deux états d’énergie possibles. Mais d’autres solutions existent déjà : des équipes piègent des atomes dans des lasers ou des champs électromagnétiques ou bien se servent de grains de lumière comme objet quantique.
Et, si tous ces efforts d’Etats, de start-up, d’industries ne marchent pas, la théorie quantique a d’autres avantages que ceux de servir d’accélérateur de calculs. Ses propriétés promettent des mesures plus précises de champ magnétique, d’optique, d’électronique… pour des capteurs toujours plus performants. Elles promettent aussi des communications plus sûres. Calcul, capteur et sécurité sont d’ailleurs les piliers du plan européen d’investissement dans le domaine. En France, la communauté scientifique attend sa déclinaison nationale. Un rapport parlementaire devrait sortir fin novembre avec des propositions.
Précision. Dans une première version de cet article, nous avons indiqué que les « transmons » ont été inventés dans les années 1980 notamment par le Français Michel Devoret et l’Américain John Martinis. En fait, ils l’ont été en 2007 à l’université de Yale, notamment par Michel Devoret. Le travail mentionné dans un premier temps faisait référence à la mise au point du premier circuit quantique supraconducteur ayant précédé les « transmons ».
Contribuer
Réutiliser ce contenu