Sudhir Kakar est un psychanalyste et essayiste indien, auteur de plusieurs ouvrages dont Eros et Imagination en Inde (Des Femmes, 1990), Fou et Divin (Seuil, 2010), ou encore L’Ascète du désir (Seuil, 2001).
Dans quel contexte la dépénalisation de l’homosexualité a-t-elle été prononcée, le 6 septembre, par la Cour suprême indienne ?
En Inde, hormis quelques membres de l’élite anglophone des grandes villes, les hommes qui ont des relations avec des hommes – et ils sont nombreux – ne s’identifient pas comme homosexuels. Ils ne compromettent donc pas leur identité masculine, qui consiste à se marier et à avoir des enfants.
Ashok Row Kavi, un militant transgenre de la cause gay, raconte que, quand il était jeune et que sa famille le poussait à se marier, il avait explosé de colère en leur disant qu’il aimait « baiser les hommes ». « Je m’en fiche de savoir si tu baises avec des crocodiles ou des éléphants, lui avait répondu sa tante, mais pourquoi ne peux-tu pas te marier ? »
Par ailleurs, les lesbiennes n’existent tout simplement pas – du moins en apparence. Encore une fois, les Indiens n’ignorent pas leur existence, mais pensent que cette sexualité est liée à la frustration sexuelle des célibataires, des veuves ou des femmes qui n’ont pas de rapports sexuels avec leurs maris. Par exemple, dans le film Fire, sorti en 1998 sur les écrans indiens, les deux femmes qui entretiennent une liaison amoureuse sont malheureuses en ménage. Le propos du film a néanmoins créé une énorme polémique et des militants hindous ont mis le feu à des salles de cinéma.
Comment l’homosexualité était-elle perçue dans le passé de l’Inde ?
L’Inde ancienne est en général silencieuse sur le sujet de l’homoérotisme. La définition moderne de l’homosexualité repose sur l’idée d’une préférence pour un partenaire de même sexe alors que ; dans l’Inde ancienne, elle se définit par un comportement atypique par rapport à son genre ou à la sexualité.
L’homosexuel est alors censé appartenir à la classe déficiente de ceux que l’on appelait kliba en sanskrit. Ce terme fourre-tout désignait quelqu’un de stérile, d’impotent, de castré, un travesti, un homme pratiquant le sexe anal ou oral, un homme sans fils. En résumé, kliba était le terme utilisé par les hindous pour désigner un homme qui, selon leurs propres termes, avait une sexualité dysfonctionnelle – un handicap, dirions-nous aujourd’hui.
Le terme « kliba » n’existe plus mais il a laissé des traces. L’homosexualité est encore considérée comme une déficience, elle suscite un mélange de pitié et de consternation, voire un certain degré de révulsion envers un homme incapable de se marier et d’avoir des enfants – des sentiments qui restent associés à l’image de l’homosexuel indien.
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