En Sierra Leone, une catastrophe mortellement prévisible
A Freetown, un millier de personnes ont péri ou sont portées disparues depuis la coulée de boue de lundi. La colère gronde.
Déjà près de 400 morts confirmés, dont 105 enfants. Et au moins 600 disparus, dont les chances de sauvetage diminuent d'heure en heure. Mais aussi 3000 survivants désormais sans le moindre abri. Freetown, capitale de la Sierra Leone, est sous le choc depuis que les pluies torrentielles ont provoqué l'effondrement, tôt lundi matin, de toute une partie du Pain de Sucre, la colline du quartier de Regent surplombant le centre-ville. Au bord des larmes, le président Ernest Bai Koroma a appelé à l'aide, mardi, la communauté internationale. Et mercredi, des enterrements de masse dans quatre cimetières de la métropole devaient permettre de désengorger la morgue, où les corps ne cessent d'arriver. Tandis que la douleur, dans la population, laisse progressivement place à la colère.
Car cette catastrophe dite «naturelle» ne l'est pas tant que ça. L'urbanisation sauvage, depuis plus de vingt ans, a débouché sur la déforestation des pentes et donc décuplé le risque de glissements de terrain à Freetown, une ville où la moyenne annuelle des précipitations est la plus élevée d'Afrique. La soixantaine de bidonvilles accrochés aux collines ou sur le littoral est régulièrement victime de coulées de boue et d'inondations. Une situation encore aggravée par une gestion des ordures totalement défaillante et donc l'accumulation d'immondices qui bouchent les canalisations.
Autant dire que les agences des Nations Unies s'activent pour tenter d'éviter que ces eaux souillées ne donnent lieu à une épidémie de maladies comme le choléra, la typhoïde et la diarrhée.
Coincés à Freetown
Or tout cela était parfaitement prévisible. Et même annoncé. Certains bidonvilles subissent des inondations année après année. Il y a deux ans, après un épisode particulièrement sévère qui a fait peu de morts mais laissé des milliers de personnes à la rue, l'agence sierra-léonaise de protection de l'environnement avait tiré la sonnette l'alarme en mettant le doigt précisément sur l'urbanisation sauvage, la déforestation et la mauvaise gestion des déchets.
Les autorités avaient alors déplacé une partie de la population des bidonvilles affectés pour la reloger dans des zones moins vulnérables. Mais apparemment, nombre de bénéficiaires ont mis en location ces foyers éloignés du centre de Freetown et sont retournés vivre dans leur zone sinistrée, afin d'être près des moyens de transport et donc de leurs lieux de travail.
Pas simple de réorganiser Freetown, une capitale fondée à la fin du XVIIIe siècle par quelques centaines d'esclaves qui avaient été affranchis aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Située stratégiquement à l'entrée d'un vaste estuaire qui y a creusé le troisième plus grand port naturel au monde, la ville a toutefois pour inconvénient d'être coincée entre l'océan Atlantique et la chaîne de montagnes boisées qui a donné son nom au pays: la sierra de la lionne. Or, aujourd'hui, la capitale compte plus d'un million d'habitants, dix fois plus qu'en 1961, au moment de l'indépendance. La guerre civile des années 90, en particulier, y a précipité des populations démunies qui se sont établies là dans les rares zones encore inoccupées.
Ailleurs en Afrique
Pour autant, Freetown n'est pas un cas à part en Afrique. Que ce soit au Ghana, en Ouganda, au Mozambique ou au Kenya, les populations pauvres des villes sont de plus en plus souvent confrontées à de graves inondations, note Ian Douglas, professeur à la School of Environment and Development de l'Université de Manchester, consulté par la BBC. Bref, le chaos urbain aggrave des catastrophes dont la fréquence augmente en raison du changement climatique.
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