C’est avec de bons vieux billets verts empruntés à ses parents que Jeff Bezos avait, en 1994, fondé sa petite librairie en ligne, suscitant doutes et interrogations quand ce n’était pas quolibets. En un petit quart de siècle, Amazon (près de 400 milliards de chiffre d’affaires, plus de 550 000 salariés) est devenue ce mastodonte valorisé à plus de 1 000 milliards en bourse, cet ogre planétaire du commerce dont rien ni personne ne semble devoir - ou pouvoir - modérer l’appétit.
Dans l’univers high-tech, Airbnb, le plus grand hébergeur, n’a pas d’hôtels ; le plus grand transporteur, Uber, n’a pas de flotte ; le plus grand diffuseur d’images, Netflix, commence seulement à produire ses séries. Quand Apple prospère sur le triomphe de l’iPhone, Amazon, comme Google, surfe sur l’exploitation de l’or numérique, c’est-à-dire les fameuses « data », ces milliards et milliards de données de chacun d’entre nous qui, via logiciels et algorithmes, sont un inépuisable gisement d’activités et de revenus.
Amazon a longtemps fait jaser
Si génie il y a, celui de Bezos est d’avoir saisi très tôt les incommensurables perspectives d’Internet au service du commerce (commerce, pris dans son sens large), des échanges et, de facto, de la création virtuelle de valeur. C’est aussi, et peut-être surtout, de n’avoir jamais sacrifié à ses convictions de long terme.
Introduit au Nasdaq, en 1997, Amazon a longtemps fait jaser et beaucoup perdu d’argent. Wall Street réclamait « ses » dividendes ? Bezos continuait inlassablement de réinvestir dans des entrepôts et de nouveaux services. Partant de la Toile, il se rêvait en acteur du commerce et de la distribution, au potentiel illimité, supplantant les majors des hyper super, les Wall Mart et autres Carrefour, Leclerc, Auchan, Casino, tout en s’exonérant de leurs contraintes d’achat, de logistique, de gestion des stocks.
La lecture et le numérique mènent à tout
Parabole du coucou dans le nid du voisin. Ainsi naquit le monde selon Amazon dont s’inspirera le chinois Alibaba. Face au danger de submersion, les distributeurs « physiques » n’en peuvent mais et préfèrent le deal à la bataille. Car l’ogre Amazon dévore et s’immisce là où il lui plaît. Hier, commerce électronique, stockage informatique (cloud), vidéo en ligne, supermarchés bio, livraison gratuite, méga entrepôts. Demain, épicerie, immobilier, banque, assurance ? La lecture et le numérique mènent à tout à condition d’en sortir. La base de clientèle croît et embellit jour après jour. Elle nourrit le risque d’un monopole sur le commerce en ligne qui inquiète tantôt les marchés, tantôt les gouvernants. Pas ses clients, semble-t-il, conquis par le sérieux du service de proximité d’Amazon, label à bas prix en passe d’accaparer 50 % des ventes en lignes aux États-Unis !