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Lettre ouverte à Monsieur le ministre Marcourt, ou autopsie de l’échec du décret Paysage

Quatre cents professeurs d’université se sont associés pour dresser un constat commun, désastreux, sur le décret Paysage.

Carte blanche - Temps de lecture: 7 min

Monsieur le ministre,

En tant que professeurs d’université, nous ressentons maintenant pleinement les effets de la réforme de l’enseignement supérieur qui nous a été imposée en 2014 (décret Paysage).

L’un de ceux-ci est certainement le faux sentiment de réussite chez nos étudiants. Dans l’esprit, la réforme met en avant la « réussite pour tous », le principe de « non-redoublement », de l’« étalement » sur de multiples années. Plus qu’avant, certains étudiants mettront en effet deux ou trois années supplémentaires à réussir leur formation. Or, chaque année d’étude pour chaque étudiant a un coût : humain, financier, social. Certains de ces étudiants dont le niveau est – et reste – faible, après une succession de réussites partielles, n’arriveront jamais au bout de leur parcours. Dans les cas les plus désespérés, les étudiants ne « ratent » pas, mais deviennent « non finançables » – après avoir perdu des années.

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Outre les drames personnels qui peuvent en découler, nous nous interrogeons sur le coût sociétal d’un régime qui permet aux étudiants – parfois mal orientés après les études secondaires – de traînasser dans un système sans chances de réussite réelles. Le décret Paysage s’est inspiré de certains exemples étrangers, mais sans prendre en compte deux choses élémentaires. D’une part, dans plusieurs des pays concernés, le constat des problèmes engendrés par le modèle entraîne une volonté de canaliser et de limiter dans le temps les parcours individuels, ce qui revient à une marche en arrière. D’autre part, nous constatons des points de départ très différents : dans les pays concernés, l’enseignement secondaire est davantage balisé en fonction des talents et possibilités de chaque élève, filtrant ainsi leur accès à l’une ou l’autre filière. Ce type de filtre n’existe pas en Belgique francophone. La conséquence est qu’un nombre important d’étudiants qui se présentent en Bloc 1 ne disposent pas des compétences indispensables à un niveau universitaire : pour eux, le décret ne supprime pas l’échec, mais en reporte le constat.

Hypertrophie bureaucratique

Prenons maintenant la perspective des exécuteurs de ce système : les enseignants et les administrations universitaires. Rien qu’en termes d’heures de travail, le coût de la réforme est gigantesque en raison de l’hypertrophie bureaucratique à tous les niveaux. Les problèmes logistiques sont innombrables. Ainsi, il est devenu quasi impossible d’établir des horaires qui conviennent aux étudiants de plus en plus nombreux à suivre des unités d’enseignement appartenant à différents « blocs » (puisqu’il n’y a plus d’« années » en tant que telles). Malgré les opportunités qu’offre l’informatisation, les cours virtuels et les plateformes ne peuvent pas compenser entièrement l’impossibilité de suivre les cours en présence, donnés par des professeurs compétents et dévoués. En outre, le jury d’examen passe désormais des semaines entières à régler les problèmes que posent les PAE (Programme annuel de l’étudiant) individualisés des étudiants. Le problème fait l’objet d’un constat général et sans appel, puisque chaque université se voit attribuer des « conseillers académiques », qui seront néanmoins loin de suffire à la tâche.

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Ces problèmes étaient parfaitement prévisibles. Mais les principaux intéressés n’ont pas été consultés au préalable. Il s’agit là d’un déficit démocratique et d’une ingérence sans précédent du politique dans le fonctionnement universitaire. Une démocratisation de l’enseignement supérieur serait certes souhaitable ; cependant, le décret ne donne pas aux universités les moyens nécessaires à celle-ci. Il dévalorise en outre les diplômes universitaires de la Belgique francophone, qui peuvent désormais être obtenus à l’usure.

Nous vous prions, M. le ministre, de bien prendre acte de notre profond sentiment de déception devant ce décret, qui demande des investissements énormes pour aboutir à un résultat inférieur.

Avec nos sentiments dévoués.

*Philippe Anckaert, Kim Andringa, An Ansoms, Elena Aoun, Paul Arblaster, Lionel Artige, Pierre Assenmaker, Valérie Bada, Antoine Bailleux, Thibaut Baisipont, Pierre Bastin, Manon Bataille, Henri Batoko, Xavier Baumans, Christophe Becco, Philippe Beck, Franca Bellarsi, Valérie Benoit, Diane Bernard, Paul Bertrand, Vincent Bodart, Marielle Boonen, Katrien Bostyn, Hakim Boularbah, Frédéric Boulvain, Joanna Bouchat, Eric Bousquet, Françoise Bouvier, Christine Bouvy, Jean-Luc Brackelaire, Claude Bragard, Liselotte Brems, Michel Brix, Laurence Broze, Daphné Bui, Nathalie Burnay, Laurence Burnez-Lanotte, Caroline Canon, Georges Cardinael, Guy Cardinael, Myriam Carlier, Monique Carnol, Danièle Catanzaro, Alvaro Ceballos Viro, François Chaumont, Philippe Chevalier, Jacques Clesse, Cécile Colin, Claudine Colin, Anne Collard, Sophie Collonval, Bruno Colson, Adrien Comès, Jérôme Coppine, Colette Cornet, François Courtoy, Valérie Coyette, Emmanuelle Cugnon, Estelle Dagneaux, Christine Dassy, Patrick Dauby, Olivier De Backer, Xavier De Bolle, Pierre-Olivier De Broux, Sylvie De Cock, Valérie De Glas, José De Groef, Myriam De Kesel, Sabine De Knop, David De La Croix, Charlotte S-De Le Vingne, Yves De Lombaerde, Clotilde De Montpellier, Caroline De Mulder, Nicolas De Sadeleer, Isabelle De Sauvage, Séverine De Schepper, Anne De Smet, Tanguy De Thier, Evelyne De Vuyst, Dirk De Worm, Cathy Debier, Jean-Christophe Defraigne, Liesbeth Degand, Pierre Dehez, Karine Dejean, Muriel Dejemeppe, Dirk Delabastita, Diane Delangre, Andrée Delarsille, Jean-Pierre Delchambre, Louise Deldicque, Charles Delhez, Cédric Delvaux, Marie-Amélie Delvaux, Michel Delville, Guy Demortier, Nicolas Dedoncker, Olivier Deparis, Dominique Deprins, Marie Deridder, Philippe Desmette, Antoine Dewandre, Anne Dister, Jean-Michel Dogné, Isabelle Donnay, Véronique Doppagne, Anne-Marie Doyen, Sarah Dozier, Eve-Aline Dubois, Julien Dubois, Caroline Ducarroz, Sophie Dufays, Marie Dufrasnes, Paul Dumont, Colette Dumortier, Maïté Dupont, Vincent Engel, Jacques Englebert, Dany Etienne, Céline Evrard, Anne Fachinat, Jean-François Fagnart, Joseph Famerée, Sebastiano Ferrari, Jacques Fierens, Paul Fisette, Jean-Pierre Falque, Christophe Flament, Bruno Flamion, Denis Flandre, François Fouss, Nicolas Franco, Christine Frison, André Füzfa, Annick Gabriel, Moreno Galleni, François Gallez, Mauricio Garcìa Peñafiel, Pierre Garin, Gaspart Gaspart, Mélanie Gastellier, Maxime Gavage, Marc-Antoine Gavray, Raphaël Gély, Jean-François Gerkens, Philippe Ghosez, Thomas Gilbert, Nathalie Gillain, Jean-Pierre Gillet, Nicolas Gillet, Nathalie Gilson, Benoît Glaude, Françoise Gofflot, Maud Gonne, Xavier Gonze, Axel Gosseries, Catherine Gourbin, Marino Gran, Gilles Grandjean, Claire Grégoire, Jean-Michel Grégoire, Elodie Grifnée, Christine Guillain, Marvyn Gulina, Isabelle Hachez, Bernard Hallet, Vincent Hallet, Régis Hallez, Isabelle Hamer, Emeline Hanozin, Besa Hashani, Emmanuel Heemans, Luc Henrard, Xavier Hermand, Michel Hermans, Anne-Catherine Heuskin, Kevin Heyeres, Pascale Hilbert, Philippe Hiligsmann, Jean Hindriks, Pascal Hols, Caroline Hougardy, Cristal Huerdo Moreno, Christian Hutrgen, Leonardo Iania, Inès Jadot, Emmanuelle Javaux, Jean Jerumanis, Arnaud Join-Lambert, Ivan Jureta, Fabienne Kefer, Patrick Kestemont, Isabelle Klaric, Christine La Grange, Simon Labate, Pieter Lagrou, Renaud Lambiotte, Carine Lannoye, Sébastien Laoureux, Michel Latour, Guido Latré, Olivier Latteur, Hélène Latzer, Pierre-Joseph Laurent, Wim Laurier, Françoise Lauwaert, Danièle Lebeau, Sophie Lecomte, John Lee, Michel Lefftz, Bénédicte Legrain, Elisabeth Leijnse, Thierry Léonard, Alysson Lepeut, Hélène Leroy, Etienne Lestrate, Céline Letawe, Valérie Leyh, Catherine Linard, Laurence Lissoir, Evgueniya Liu, Bruno Lombaert, Dominique Longrée, Jean-Michek Longneaux, Bertrand Losson, Pierre Louette, Laurent Lousberg, Mathilde Macaux, Marie Mandarine, Nadinne Manne, Henri Maquoi, Fabio Mariani, Xavier Marichal, John Martin, Béatrice Martinet, Bernard Masereel, Christine Masuy, André Matagne, Irène Mathy, Jean-Yves Matroule, Geneviève Maubille, Ana Mauleon, Sébatsien Mawet, Jacinthe Mazzocchetti, Alain Mercy, Mathilde Mergeai, Laura Merla, Michèle Mertens, Johan Messiaen, Laurence Mettewie, Nicolas Meunier, Laurence Meurant, Jean-Claude Micha, Christine Michaux, Nicolas Michel, Françoise Mies, Bernard Mignon, Christophe Mincke, Mathieu Minet, André Moens, Jolan Mohimont, Michèle Monballin, Sophie Moreau, Eric Muraille, Benoît Muylkens, Noémie Nélis, Martin Neve, Charles Nicaise, Jean-François Nieus, Kevin Noiroux, Patricia Nouveau, Benoît Noyelles, Florine Oldenhove, Christine Pagnoulle, Christian Palm, Giovanni Palumbo, Ghislain Paquot, Magali Paquot, Xavier Parent, Eric Parmentier, Isabelle Parmentier, Olivier Paye, Luca Pensieroso, Julien Perrez, Mathieu Piavaux, Amélie Pierre, Audrey Pierson, Paul Pietquin, Pierre Piret, Isabelle Platten, Jim Plumat, Jean-Christophe Plumier, Jérôme Ponthier, Yves Poumay, Anne-Catherine Provost, Jean Quertinmont, Martine Raes, Laurent Rasier, Jean-Yves Raty, Isabelle Ravet, Jean-François Rees, Maxime Regnier, Claire Remacle, Françoise Remacle, Etienne Renard, Patsy Renard, Xavier Renders, René Rezsohazy, Julian Richard, Sébastien Rigali, Agnès Roba, Isabel Rodríguez, Hubert Roland, Elise Rousseau, Véronique Rousseau, Chiara Ruzzier, Andrew Safronov, Salvatore Salerno, Siobhan Sanderson, Vassilis Saroglou, Patrick Scarmure, Virginie Scheers, Brigitte Schepens, Nathalie Schiffino, Julien Schockmel, Anne Schokkaert, Herman Seldeslachts, Matthieu Sergier, Denis Seron, Nathalie Seron, Valérie Seront, Olivier Servais, Paul Servais, Thierry Seynave, Aurélie Sinte, Sophie Smet, Elies Smeyers, Philippe Snauwaert, Jehanne Sosson, Julien Stevens, Kris Steyaert, Alain Strowel, Wally Struys, Bao-Lian Su, Isabelle Tassignon, Elisabeth Terlinden, Nicolas Thirion, Virginie Thirion, Jean-Louis Tilleuil, Edoardo Traversa, Andrea Tudino, 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1 Commentaire

  • Posté par Jean-Claude Morgenthal, mardi 18 septembre 2018, 10:50

    Bravo !

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