Alimentation durable : en Île-de-France, "on n'en a pas fait assez" (Audrey Pulvar)

ENTRETIEN. Adjointe à la maire de Paris chargée de l'alimentation durable, de l'agriculture et des circuits courts, et candidate aux élections régionales d'Ile-de-France, Audrey Pulvar annonce à "La Tribune" le lancement prochain d'une Convention citoyenne sur l'alimentation durable, réunissant Parisiens et Franciliens, puis l'ouverture d'États généraux de l'agriculture et de l'alimentation durable réservés aux professionnels. Si elle devient présidente de la région, elle promet de donner à l'alimentation une place plus importante.
Giulietta Gamberini
En termes de restauration collective, les lycées et les autres établissements qui dépendent de la région représentent un marché et un énorme potentiel de transformation de l'agriculture d'Île-de-France, note Audrey Pulvar, qui veut agir dans ce sens si sa liste gagne.
"En termes de restauration collective, les lycées et les autres établissements qui dépendent de la région représentent un marché et un énorme potentiel de transformation de l'agriculture d'Île-de-France", note Audrey Pulvar, qui veut agir dans ce sens si sa liste gagne. (Crédits : Reuters)

LA TRIBUNE - Depuis juillet 2020, vous êtes adjointe à la maire de Paris, chargée de l'alimentation durable, de l'agriculture et des circuits courts. Qu'avez-vous fait jusqu'à présent pour répondre à cette mission plutôt inédite dans une grande ville?

AUDREY PULVAR - Depuis juillet, nous avons organisé énormément de rencontres et de rendez-vous avec des responsables de syndicats agricoles, des Chambres d'agriculture, de la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer), du Groupement des agriculteurs bio d'Île-de-France, etc. Nous avons aussi visité beaucoup d'exploitations, ainsi que des ateliers de transformation tels que des fours à pain, des ateliers de charcuterie, des légumeries, etc., que nous soutenons puisqu'ils permettent aux producteurs de capter davantage de valeur ajoutée. Nous avons aussi rencontré des acteurs du transport, de la logistique, de la distribution alimentaire.

C'était nécessaire pour bien comprendre tous les enjeux de l'alimentation durable en Île-de-France, en vue de notre mission. Anne Hidalgo a en effet fixé deux objectifs à la restauration collective dépendant de la Ville de Paris (cantines scolaires, Ehpad, restaurants Emeraude, restaurants administratifs, aide alimentaire), qui représente 30 millions de repas par an. Le premier objectif est de porter à 100% la part d'aliments bio ou "durables", c'est-à-dire produits dans de bonnes conditions environnementales, sociales et dans le respect du bien-être animal. Le deuxième est que 50% de ces aliments soient produits dans un rayon de 250 kilomètres autour de Paris. Aujourd'hui, la part du bio ou "durable" dans la restauration collective à Paris est de 53%et les produits parcourent en moyenne 650 kilomètres. Pour atteindre les nouveaux objectifs fixés par la maire de Paris, il nous faudra donc développer une offre de proximité beaucoup plus importante que celle dont nous disposons dans la région Île-de-France, qui sera notre principal bassin de fournisseurs.

Quels sont les principaux obstacles qui s'opposent à ces objectifs?

La première difficulté que nous rencontrons est qu'en Île-de-France, les agriculteurs bio ou durables sont peu nombreux: entre 4% et 5% du total. En outre, même si l'Île-de-France est la première région agricole de l'Hexagone, elle est essentiellement tournée vers l'exportation, notamment de céréales. Il y a très peu de maraîchage et de polyculture-élevage. Pour atteindre les objectifs de la Ville de Paris, il est donc nécessaire non seulement d'avoir beaucoup plus d'agriculteurs bio et durables en Île-de-France, mais aussi de changer la nature des cultures, en y apportant de la diversité.

Beaucoup d'acteurs veulent prendre cette direction, d'autres sont plus sur la retenue. Après tout ce travail de contacts et de réflexion, nous allons donc lancer la deuxième partie de notre projet, axée sur la concertation, avec l'organisation en mars d'une Convention citoyenne sur l'alimentation durable, et, en mai, d'États généraux de l'agriculture et de l'alimentation durable.

Pourquoi organiser une telle Convention citoyenne, et comment?

Je suis partie du constat que le double objectif fixé par Anne Hidalgo ne concerne pas que Paris, puisqu'il nous oblige à transformer l'agriculture d'Île-de-France. Il m'aurait donc semblé réducteur d'organiser une convention citoyenne n'incluant que des Parisiens et des Parisiennes. Un panel de 100 personnes participeront à cette convention, 50 viendront de Paris, et 50 des autres départements de l'Île de France. Il s'agit de permettre à tous les Franciliens et à toutes les Franciliennes d'avoir leur mot à dire sur les transformations que nous envisageons. Non seulement parce qu'il n'est pas question de leur imposer ces changements en dehors de formes de collaboration et de concertation, mais aussi parce qu'il ne faut pas non plus que Paris capte toute l'agriculture bio et durable d'Île-de-France au détriment des autres territoires.

À cause du Covid, nous avons prévu une convention citoyenne 100% digitale, en partenariat avec l'Ifop. Nous allons néanmoins demander aux citoyens et aux citoyennes de jouer un rôle de "reporters", en allant explorer leur environnement quotidien : quels produits arrivent autour de chez eux, comment les commerçants et les cantines s'approvisionnent-ils, etc. Pendant la convention, ils pourront en outre interroger de nombreux experts.

La question à laquelle ils devront répondre, ce sera: "Bien manger en 2031, qu'est-ce que cela signifie pour vous?" Est-ce que c'est manger bio, ou privilégier un type de régime alimentaire, voire une provenance? Et est-ce qu'il faut préférer des produits bio venus de loin ou des produits durables de proximité? Les travaux seront répartis entre quatre groupes de travail, consacrés à la précarité alimentaire, à la proximité et à l'égalité des territoires, aux types d'agriculture permettant de préserver l'environnement et de garantir aux agriculteurs un revenu décent, aux produits bons pour la santé. Un "avis citoyen" sera rendu en Conseil de Paris à la fin du premier semestre 2021.

En quoi consisteront en revanche les États généraux de l'agriculture et de l'alimentation durable?

Ils commenceront en mai et mobiliseront plutôt les professionnels. Douze groupes de travail sont prévus, qui seront pilotés par différents adjoints de la Ville. Il s'agit en effet d'un gros travail transversal, au sein de l'équipe municipale, qui ne concernera pas seulement ma délégation. Ainsi, le groupe de travail sur la logistique sera animé par le premier adjoint, Emmanuel Grégoire, ainsi que par David Belliard, adjoint à la mobilité. Le groupe de travail sur le foncier et l'urbanisme sera aussi piloté par Emmanuel Grégoire, celui sur le bâti durable par Jacques Baudrier, celui sur la préservation de la ressource en eau par Dan Lert, celui sur la valorisation des déchets par Colombe Brossel, etc. J'ai sollicité une bonne partie des adjoints, et ils sont très motivés! C'est l'expression de la force de l'engagement d'Anne Hidalgo et de l'ensemble de l'équipe autour de sujets qui -je le constate depuis que je suis élue- intéressent d'ailleurs tous les maires d'arrondissement, y compris les maires d'opposition.

Tout cela doit permettre, dans deux ans, de faire sortir de terre "Agri Paris" [une coopérative agricole gérant l'approvisionnement alimentaire de la capitale, Ndlr] puis, à la fin du mandat, d'avoir complètement changé la façon dont les Parisiens et Parisiennes s'alimenteront -au moins dans la restauration collective, même si nous embarquerons aussi la restauration commerciale. Il s'agit aussi de créer des débouchés sûrs et réguliers pour les agriculteurs qui se convertissent ou qui se maintiennent en bio ou en durable, afin qu'ils puissent investir ou se regrouper pour répondre à des marchés, etc. L'objectif, finalement, c'est d'une part de réduire l'impact de l'alimentation et de l'agriculture dans nos émissions de gaz à effet de serre, d'autre part de faire en sorte qu'une alimentation de qualité soit à la portée de tous les budgets.

Vous agissez donc déjà depuis presque huit mois au niveau régional. Pourtant, en tant que candidate aux élections régionales d'Île-de-France, vous vous êtes surtout exprimée en matière de transports...

Les missions qui me sont confiées en tant qu'adjointe à la maire de Paris ne peuvent évidemment pas se réaliser sans le reste de l'Île-de-France et sans réciprocité, puisque ce n'est pas grâce à la seule agriculture urbaine à l'intérieur de Paris qu'on pourra nourrir les Parisiens. Elles m'amènent donc sur le terrain régional en permanence. Mon premier déplacement à ce titre s'est d'ailleurs tenu en Seine-Saint-Denis, dès la première semaine de juillet 2020Mais je ne mélange pas ce rôle avec celui, que j'ai assumé ensuite, de candidate aux élections régionales.

J'aurai aussi bien sûr des propositions en tant que candidate à la présidence d'Île de France en matière d'agriculture et d'alimentation. Et si je suis élue présidente de la région, les sujets sur lesquels je travaille en ce moment occuperont sans doute une place importante. Cela me permettra d'ailleurs d'agir à plus grande échelle. L'une des raisons pour lesquelles je me suis engagée dans cette candidature régionale, c'est justement que, en tant qu'adjointe de la Ville de Paris, je constate à quel point, en matière d'alimentation, on se heurte à des difficultés à ce seul niveau, malgré la bonne volonté et le poids de la commande publique. Donc oui, si je suis présidente, je vais donner à mon action pour l'alimentation durable une dimension encore plus forte.

Vous avez quand même un avis sur l'action en matière d'alimentation durable de Valérie Pécresse en Île-de-France?

Le constat, c'est qu'on n'en a évidemment pas fait assez. En termes de restauration collective, les lycées et les autres établissements qui dépendent de la région représentent un marché et un énorme potentiel de transformation de l'agriculture d'Île-de-France. Récemment, Valérie Pécresse a fait des annonces en ce sens. Mais si ce cap avait été pris dès son élection, on serait beaucoup plus avancé aujourd'hui. Il n'est jamais trop tard pour agir, et si ma liste gagne, on le fera.

Quel regard portez-vous sur l'action du gouvernement en matière d'alimentation durable, et notamment sur ce qui est prévu à ce sujet dans la loi climat?

Franchement, c'est assez décevant, et je ne suis pas la seule à le dire: il suffit de lire les divers avis rendus par des organes consultatifs ou par des ONG sur le projet de loi climat. Pourquoi, par exemple, avoir rejeté la proposition de la Convention citoyenne du climat d'interdire les publicités pour les produits proscrits par le Programme national nutrition santé ( PNNS) ? Ces "aliments" sont nocifs et bourrés de perturbateurs endocriniens... Les citoyens avaient aussi demandé une redevance sur les engrais azotés, qui s'est transformée en "trajectoire" de réduction des émissions de protoxyde d'azote et d'ammoniac par le secteur agricole, sans qu'on se donne les moyens d'atteindre l'objectif ! Sans compter toutes les questions liées à l'interdiction du glyphosate, repoussée par le gouvernement, aux néonicotinoïdes, réintroduits pour la culture de la betterave... Une ville comme Paris peut sans doute avoir un impact sur la transition grâce à son poids sur le marché. Mais ce n'est malheureusement pas la Ville de Paris qui fait les lois.

Giulietta Gamberini

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Commentaires 6
à écrit le 20/02/2021 à 1:37
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Les pretendants a la politique en France sont d'un niveau affligeant, d'ou l'etat du pays. Continuez de creuser le fond est proche.

à écrit le 19/02/2021 à 13:57
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Elle est bien gentille cette dame là..................

à écrit le 19/02/2021 à 11:32
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Le père d'Audrey avait une interprétation différente de la notion d'alimatation du râble

le 22/02/2021 à 14:23
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Ah ben tiens, ça m'étonnait de te voir sur un sujet sur l'écologie aussi toi hein...

à écrit le 19/02/2021 à 10:49
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Je sais ce qu'est le Bio, mais je ne sais pas qu'en France, l'agriculture conventionnelle ne serait pas "durable", ne connais pas ce qu'il y aurait derrière ce terme (classiquement, on parle d'agriculture raisonnée -je crois nos agriculteurs, et les ...

à écrit le 19/02/2021 à 9:53
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que vaut la parole d'une dame qui se fait mousser a proteger toutes les victimes de la terre a grands coups de balancetonmachin , mais qui, quand il s'agit de sa cousine, declare que comme cette derrniere etait majeure, tout relevait de ses propres c...

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