Francis Huster, Molière jusqu'au bout des planches et des ongles

Molière doit reposer au Panthéon, Francis Huster n'en démordra pas. Et si Emmanuel Macron n'y a pour le moment pas consenti, le comédien n'a pas dit son dernier mot. Pour cause : l'auteur du Malade imaginaire est la grande passion de sa vie et même plus que cela. Rencontre. 
Francis Huster et la panthonisation de Molière  une bataille jusqu'au plus haut sommet de l'État
Jacques Bourguet/Sygma/Sygma via Getty Images

Le 15 janvier dernier, Francis Huster n’avait pas le cœur à la fête. Malgré tout, il s'est trouvé assez d'entrain pour faire le tour des plateaux télé – parce qu’on le lui avait demandé –, s’est empoigné avec l'écrivain Franck Ferrand chez Laurent Ruquier – dans un numéro de joute intellectuelle dont il a le secret –, puis est allé se coucher, rêvant à la journée qu’il aurait préféré passer. Là-bas, sur la montagne Sainte-Geneviève, au côté du président Macron et de son épouse, il aurait vu son idole faire son entrée dans ce monument où la patrie honore ses grands hommes. Que ça aurait été beau ! Jusqu'à ce que cela n'arrive pas, il y croyait dur comme fer. Voilà des années que Francis Huster s'échine pour que l'on panthéonise Molière. D’autant que le 15 janvier 2021 était une date symbolique : celle des 400 ans de la naissance de Jean-Baptiste Poquelin. Quel plus beau cadeau aurait-il pu lui faire ? 

Quelques jours après cette déconvenue, nous retrouvons Francis Huster dans un café, à deux pas du palais Garnier. Il est au téléphone, l’air grave, un épais dossier d’où dépassent des intercalaires noircis devant lui. « Je bouillonne », dit-il après avoir raccroché, feignant de s’arracher les cheveux. Ses yeux sont pleins de fièvre. Il porte une cravate noire sur une chemise noire, une veste noire doublée d’un blouson de motard noir, qu’il recouvrira plus tard d’un manteau noir et d’une écharpe noire. Première explication : Francis Huster est frileux. Deuxième explication : il porte le deuil éternel de Molière. « On ne m’aura pas ! Je ne baisserais pas les bras ! », s’énerve-t-il en rangeant quelques feuilles volantes dans son attaché-case. 

Pour le comédien, cette histoire de panthéonisation est loin d’être une lubie passagère. Il en a discuté avec quasiment tous les présidents de la Cinquième République, assure-t-il. Giscard ? « Pfff, il avait d’autres chats à fouetter. Son truc à lui, c’était les jeunes, l’avenir, alors il se disait que Molière, ce n’était pas son affaire. » Mitterrand ? En amoureux des belles lettres, lui avait prêté attention à sa requête. « Mais il voulait que l’on attende une grande célébration. Il aurait aimé le faire en février 1973, pour les 300 ans de sa mort, mais bon, à l’époque, il n’était pas encore président… », se désole-t-il. Pas de chance en effet. Puis il y a eu Chirac, Sarkozy, Hollande, des oreilles plus ou moins attentives. Et enfin Macron… Ce président qui aime le théâtre, au point d’avoir épousé celle qui le lui enseignait, aurait pu être son messie. Mais encore une fois, Francis Huster n'a pas eu ce qu'il voulait : à l’heure où sont écrites ces lignes, la dépouille de Molière, ou du moins ce qu’il en reste, repose toujours au cimetière du Père Lachaise. « Cher Francis, votre combat est juste », lui avait pourtant laissé espérer le chef de l’État, dans une lettre signée de sa main. Des missives enflammées, Huster en a écrites à plusieurs membres du gouvernement : « Jean Castex, Éric Dupond-Moretti, Bruno Le Maire… », énumère-t-il. Et pas Roselyne Bachelot ? « Oh, la ministre de la Culture n’a aucun poids sur ce genre de décision ! » 

Un duel devant les caméras 

Dans cette affaire, Francis Huster ne manque pourtant pas de soutiens. « Faisons entrer Molière, symbole de la culture française, au Panthéon ! », s’est écriée Valérie Pécresse dans une tribune publiée par Le Figaro. La candidate LR aux élections présidentielle y déplore le manque de commémorations autour de ce 400ème anniversaire alors que « l’Italie, elle, a célébré tout au long de l’année 2021 le 700ème anniversaire de la disparition de Dante » avec pléthore de manifestations. Même son de cloche à gauche avec Anne Hidalgo. Appuyée par le conseil de Paris à l’unanimité – ce qui est assez rare pour le souligner – la maire socialiste a adressé un courrier à l’Élysée au sujet de Molière. « Tout le monde le réclame ! », s’emporte Francis Huster, devant son verre de Schweppes. Avant de soupirer: « Mais la décision finale ne revient qu’au président…»

Le jeune Francis Huster en 1979, habillé pour jouer « Don Juan »Patrice PICOT/Gamma-Rapho via Getty Images

Il ne s’avoue pas vaincu. Il n’en a pas le droit. Il en a fait le serment à son mentor, le grand Jean-Louis Barrault, qui l’a mis en scène à plusieurs reprises, notamment dans un inoubliable Bourgeois gentilhomme à la Comédie Française. Sur son lit de mort, en 1994, ce dernier lui avait fait promettre de perpétuer la mission qu’il avait lui-même héritée de Louis Jouvet : honorer comme il se doit la mémoire de Molière. Francis Huster s’y dévoue corps et âme, nuit et jour. Rien qu’en 2021, il a publié deux livres à ce sujet : Poquelin contre Molière (Armand Colin), un dialogue fantasmé entre le dramaturge et le comédien, et un Dictionnaire amoureux de Molière (Plon), dans lequel il rétablit de nombreuses vérités. « Vous savez, on raconte que Molière est mort sur scène, mais c’est absolument faux », annonce-t-il, comme si la nouvelle venait de tomber. Voyez-vous cela ! Il reprend : « Molière, le comédien, la marionnette, est en effet mort lors d’une représentation du Malade imaginaire. Mais Poquelin, l’homme, a expiré dans son lit. » Autre aberration qu’il veut réfuter une bonne fois pour toutes : non, ce n’est pas Corneille qui a écrit les pièces de Molière. Cette hypothèse qui court depuis des siècles était d’ailleurs le motif de sa querelle avec Franck Ferrand, le 15 janvier, dans l’émission de France 2, On est en direct. « C’était très chaud, s’amuse Huster. Au XVIIIème siècle, on aurait pris les épées. Mais dieu merci, aujourd’hui, les duels se font devant la caméra. »

Une valise et un pyjama

Si Barrault l’a aidé à la ciseler, sa passion pour Molière est née bien plus tôt, grâce à un autre homme : Robert Hirsch. Francis Huster se souvient avec précision de cette représentation d’Amphitryon au Théâtre de Paris, à laquelle il avait assisté enfant. Hirsch, dans la peau du valet Sosie, avait soufflé le petit Francis dès son entrée sur scène. « Le soir-même, j’ai dit à mon père que je voulais être comédien. » À 15 ans, au lycée Carnot, il croise la route de François Florent, jeune professeur d’art dramatique qui allait devenir le fondateur du cours du même nom. Ce dernier nous avait raconté, au cours d’une interview en 2018, à quel point l’élève Huster l’avait marqué dès le premier jour de cours : « Il était arrivé, lunettes cerclées or fixées sur le nez, pour “voir où [il en était] par rapport aux autres”. Le lendemain, il était revenu et m’avait tendu une carte de visite où était gravé en lettres gothiques : “Francis Huster, artiste dramatique.”» François Florent en était convaincu : Huster avait l’instinct comique de Molière. D’ailleurs, il lui donna rapidement à jouer le nigaud Thomas Diafoirus du Malade imaginaire.

Au conservatoire national supérieur d’art dramatique, le comédien en herbe se distingue par ses excentricités. « Il était complètement bizarre, se souvient avec tendresse Catherine Salviat, l’une de ses anciennes camarades qui l’a ensuite retrouvé au Français. Il portait toujours un long manteau noir et se promenait avec une valise dans laquelle il rangeait un pyjama. » Il commence aussi à se frotter à des rôles écrits par son idole, qui ne le quitteront plus jamais. Aujourd'hui, Francis Huster les connaît toujours par coeur. Il en parle comme s’ils faisaient partie de sa famille. Il se lève brusquement de son fauteuil, manquant de renverser son verre de Schweppes, pour mimer l’avarice d’Harpagon, la fantaisie de Monsieur Jourdain ou encore la vanité de George Dandin. Dans ce café du neuvième arrondissement, jusqu’alors très silencieux, on est désormais au spectacle. Les tables voisines peuvent prendre leur ticket.

On pourrait croire que Francis Huster est dans l’emphase constante. Il doit y avoir un peu de ça. Mais la passion l'anime aussi, c'est certain. Sur une serviette en papier, il griffonne quelques schémas approximatifs pour prouver, par a plus b, pourquoi Molière doit faire son entrée au Panthéon. L’Élysée a argué que seules les figures postérieures aux Lumières peuvent y reposer. Mais Voltaire et Rousseau n’y sont-il pas eux, alors qu’ils sont morts avant la Révolution ? Francis Huster croit donc sa cause plus que juste, d’autant qu’il est convaincu qu’elle pourrait unir les Français, au-delà des fractures, des clivages et même des générations. Rien que ça. « Je veux bien que Diderot soit ancré dans le passé, mais pas Molière. La langue de Molière, c’est la langue du peuple, et le peuple est toujours dans le présent. Dire que Molière est un classique, ce serait comme dire que Jésus Christ est un classique. Ça n'a pas de sens. »

Le comédien attend désormais que la campagne présidentielle se termine pour repartir à l’offensive. Il est persuadé que le prochain locataire de l'Élysée sera sensible à ses arguments. Et même si Emmanuel Macron rempile pour un second mandat, il finira par céder, à n’en pas douter. Francis Huster compare l’actuel chef de l’État à Louis XIV dans la fameuse « affaire Tartuffe » : pendant deux ans, le roi avait fait interdire la pièce, avant de battre en retraite. Quand Louis XIV avait fait mander Molière pour en discuter avec lui, celui-ci n’avait pas daigné se déplacer. Francis Huster l’a imité, puisqu’il assure avoir refusé une invitation d’Emmanuel Macron au palais. En revanche, il n’a pas hésité à menacer le président : tant que Poquelin n’est pas sur la montagne Saint-Geneviève, lui ne montera plus sur scène. « Là, je ne le crois pas. C’est son côté excessif, s’amuse son amie Catherine Salviat. Et puis, vous savez, Molière est loin d’être son seul dieu. » Ah bon ? « Il a aussi Guitry ou même Shakespeare. » Quid de cette infidélité, demande-t-on à l'intéressé ?  « Shakespeare a su s’élever au-dessus des hommes, avec Hamlet par exemple, alors que Molière est resté avec eux, admet Francis Huster. Alors, je dirais que Shakespeare est médaille d’or, Molière a l’argent et Tchekhov le bronze. » Il se ravise tout de suite : « La seule faute de Molière, c’est de ne pas avoir écrit une pièce contre Dieu. Mais s’il n’était pas mort à 51 ans, il l’aurait fait, c’est sûr ! » Francis Huster mérite vraiment le Molière du meilleur fan de Molière.