Edito

Indispensable Bondy blog

L'«affaire Meklat» ne doit pas servir de prétexte pour se payer le média né à Bondy en 2005, plus que jamais nécessaire.
par Johan Hufnagel
publié le 21 février 2017 à 13h08

Le Bondy Blog existe depuis près de douze ans. Rappelons à toutes fins utiles que l'initiative fut portée à ses débuts par quelques journalistes suisses du magazine l'Hebdo (dont on a appris la disparition fin janvier), alors que les banlieues françaises se soulevaient après la mort de Bouna Traoré et Zyed Benna, tués après une course-poursuite avec la police, dans un transformateur électrique, en octobre 2005. Cette immersion dans les quartiers, en l'occurrence ceux de Bondy, en Seine-Saint-Denis, était d'autant plus pertinente que la presse nationale française et les télévisions ne se rappelaient de l'existence de ces quartiers qu'à l'occasion de ces éruptions de violence. Parce que les journalistes, à de très rares exceptions près, ne venaient pas de ces quartiers populaires et n'y habitaient pas, le quotidien de leurs habitants n'existait pas. Ou était caricaturé.

La leçon de journalisme venue de Suisse s'est doublée d'une autre bonne idée : plutôt que de mettre le blog en mode «archives», les reporters de l'Hebdo ont confié les clés du blog aux habitants eux-mêmes. Voilà la seconde vie du «BB». A la fois expérience de publication numérique, récit du quotidien des jeunes de Bondy et d'autres cités du coin, le Bondy Blog est devenu plus que cela : ateliers d'écriture, centre de formation, ouverture de mondes possibles, dans le journalisme, pour des jeunes qui ont pu imaginer un autre avenir que celui qu'on avait tracé pour eux, etc., etc. Le travail effectué par Mohamed Hamidi et Nordine Nabili, notamment, mérite de nombreux hommages. D'avoir ouvert des brèches dans le mur d'une presse monocolore, de n'avoir jamais lâché leurs jeunes, même dans la difficulté de faire vivre financièrement un média. Et d'avoir su passer la main à une nouvelle génération, née dans ces ateliers d'écriture, qui a aujourd'hui l'âge, ou pas loin, de Bouna et Zyed.

Parmi les centaines de blogueurs en gravitation autour du Bondy Blog depuis douze saisons, Mehdi Meklat. Lui, ou «son double maléfique» Marcelin Deschamps, se retrouve depuis vendredi au cœur d'une violente controverse après l'exhumation de tweets haineux, antisémites, homophobes, sexistes, racistes. Humour (plus que douteux voire impossible), exercice de provoc littéraire (mal maîtrisé), connerie XXL ? Ou haine bien réelle, Meklat-Deschamps ? Etoile montante qui a su séduire une partie du monde de la culture, il va lui falloir faire toute la lumière sur ses intentions. Aller au bout, comprendre et faire comprendre, donner des réponses aux questions et aux accusations, aux blessures légitimes. Si c'est encore possible. Et à lui aussi de laver l'honneur de ceux qui sont éclaboussés par les dégâts collatéraux de ce scandale médiatique.

Au premier rang desquels le BondyBlog, plus que les autres maisons auxquelles il collabore ou a collaboré (France Inter, Canal +, Arte, Le Seuil…). Depuis le temps que certains voulaient se payer le Bondy Blog, l'occasion tombe à pic. Au prétexte que «si ce n'est toi, c'est donc ton frère», le BB est forcément complice, sinon coupable, de tous les propos tenus par Meklat-Deschamps. Si Meklat-Deschamps est antisémite/sexiste/homophobe, cela veut dire que tous les Bondy Blogueurs sont antisémites/sexistes/homophobes. Quelle folie. Libération est partenaire du Bondy Blog depuis plus de deux ans maintenant. Le journal ne serait pas dans cette démarche de soutien et d'accompagnement si les nouvelles patronnes du Bondy Blog, la présidente de l'association Latifa Oulkhouir et la journaliste Nassira El Moaddem, n'inscrivaient pas leur démarche dans les valeurs originelles du site. L'antisémitisme, le racisme, le sexisme et l'homophobie n'en sont pas. Elles l'ont rappelé lundi. A Libération, nous ne sommes pas toujours d'accord avec les contenus publiés sur le Bondy Blog, contenus sur lesquels nous n'avons aucun droit de regard. Et l'inverse est vrai également. Parfois ces divergences donnent d'ailleurs lieu à des échanges virulents. Tant mieux. Ces discussions sont saines. Montrer ce qui nous rassemble aussi.

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