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TRIBUNE

Un 21 avril au carré

S’il y a bien un brouillage des clivages, il faudra juger de la résilience du «système» aux élections législatives.
par Rémi Lefebvre, Professeur de science politique, université Lille-II.
publié le 24 avril 2017 à 19h56

Les élections se jouent toujours deux fois : dans les urnes et dans les commentaires post-électoraux qui font parler les électeurs. Le commentaire est toujours un exercice de ventriloquie qui cherche à rationaliser les significations des électeurs. Ces dernières sont nécessairement plurielles et toujours contradictoires mais le jeu de l’exégèse électorale ne s’embarrasse pas de nuances : il tend à les unifier autour de quelques messages simples. Depuis dimanche soir, on entend ainsi que les «Français» ont voulu mettre fin au duopole partisan (PS-LR), «renverser la table» et bousculer l’ordre politique. C’est «la fin du clivage gauche-droite» risquent même certains prophètes pressés. Certes, l’arithmétique est implacable et le couperet du deuxième tour, à quelques points près, a fait le tri. Les partis de gouvernement sont hors jeu dans ce 21 avril au carré. Il y a bien eu «événement» et rupture d’intelligibilité. Il s’est passé quelque chose. Mais résumer ce vote particulièrement éclaté à quelques significations simples («le rejet du système», la fin du clivage gauche droite…) est sans doute réducteur. Le vote de dimanche combine du structurel et du contingent, du tendanciel et du circonstanciel. Il s’est passé plein de choses dont le sens n’est pas univoque. Le vote de dimanche s’inscrit dans un certain nombre d’évolutions structurelles et il obéit bien à une «logique», celle de l’épuisement de l’alternance classique, de la décomposition des partis dominants, d’un brouillage des clivages et de la montée de l’extrême droite même si elle semble avoir atteint un palier. Le «système» paraît bien à bout de souffle mais lequel ? Emmanuel Macron n’en fait pas partie ? Les électorats se sont recomposés mais sont-ils pour autant liquéfiés ?

Il aurait pu facilement en être autrement et cette élection a sa part de contingences qu’il ne faut pas négliger. Elle a tenu à des révélations du Canard enchaîné qui ont bouleversé le cours d’une victoire programmée de la droite. L’électorat conservateur ne s’est pas évaporé mais peut être temporairement réaligné. Macron a bénéficié d’un alignement des astres stupéfiant qu’il n’avait pu anticiper lui-même dans les scénarios les plus favorables. Pourquoi son improbable entreprise de subversion du clivage gauche-droite, assez proche de celle de François Bayrou en 2007 et 2012, a-t-elle cette fois réussi ? Usure de plus en plus marquée du tic-tac gauche droite sans doute mais aussi aléas de la vie politique. Les deux primaires à droite puis à gauche en produisant des candidats radicaux ont ouvert à Macron un espace politique inespéré dans lequel il s’est engouffré. Il l’a consolidé par une offre attrape-tout et évolutive qui lui a permis de ménager le plus grand nombre pour agréger sans trop cliver.

Quel mandat aura Macron s’il est élu (ce qui est probable) ? Celui de déverrouiller le jeu politique ? Son vote traduit certes chez une partie des électeurs une volonté de décrisper la politique partisane mais il est aussi le réceptacle et le refuge d’électeurs désorientés. C’est l’ironie de la situation politique : le mandat discrédité de François Hollande débouche paradoxalement sur la victoire du candidat le plus proche de son positionnement politique, un non-socialiste déclaré (alors que le PS est lui-même décimé). Le clivage gauche-droite a-t-il disparu ? Rien n’est moins sûr. Il s’est peut-être même polarisé plus que jamais. La gauche esquisse une reconstruction contre le PS fourvoyé dans le social-libéralisme. Le système partisan peut se réaligner à gauche sur de réels clivages idéologiques. La droite républicaine va sans doute remobiliser aux élections législatives des électeurs qui se sentent spoliés. Le clivage gauche-droite traverse l’électorat même d’Emmanuel Macron. Il faudra donc juger de la résilience du «système» aux élections législatives et dans une vie politique qui risque à nouveau de se parlementariser.

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