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Le parti pris de Sophie Coignard - Taxation mondiale : défaite symbolique pour l’Europe

Journaliste, éditorialiste et auteure à succès, Sophie Coignard livre chaque samedi dans les colonnes de Paris-Normandie son analyse politique.

Temps de lecture: 4 min

Qui n’a pas été choqué, cette semaine, par les images du « Sofagate », qui montrent, à Ankara, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, contrainte de rester debout tandis que le président du Conseil européen, Charles Michel, est confortablement assis dans un fauteuil en compagnie de Recep Tayyip Erdogan, le chef de l’État turc ? Un mélange de sexisme, de goujaterie et de provocation diplomatique qui ne grandit pas l’Union. « J’ai été très navré par l’humiliation que la présidente de la Commission a dû subir avec ces, appelons-les pour ce qu’ils sont, dictateurs », a déclaré jeudi soir le Premier ministre italien, Mario Draghi, qui connaît bien son sujet et son protocole puisqu’il a présidé la Banque centrale européenne de 2011 à 2019.

Cette séquence, symbole de la faiblesse et de la désunion qui peut régner à Bruxelles, est venue en cacher une autre, moins spectaculaire, mais beaucoup plus importante et, espérons-le, plus durable pour l’équité sociale et l’équilibre économique mondial. Lundi, la nouvelle secrétaire au Trésor américaine, l’équivalent de notre ministre de l’Économie et des Finances, annonce une hausse de l’impôt sur les sociétés basées aux États-Unis, de 21 à 28 %. Mais surtout, elle entend imposer une taxation minimale qui s’applique partout sur la planète, et mettre donc en échec les paradis fiscaux. « La concurrence fiscale destructrice ne prendra fin que lorsque suffisamment de grandes économies auront accepté un impôt minimum mondial », dit-elle depuis Chicago.

C’est le premier étage de la fusée. Le second est lancé deux jours plus tard, lors de la réunion en visioconférence des ministres des Finances du G20. L’administration Biden consacre officiellement sa volonté de parvenir à un impôt sur les sociétés minimal, commun à tous les pays, et ce à l’horizon de la fin 2021. Ce n’est pas rien. Un tel accord pourrait faire entrer plus de 80 milliards d’euros chaque année dans les caisses des États, qui en ont bien besoin après en avoir dépensé douze fois plus pour riposter à la crise sanitaire.

Applaudissements, donc ? Pas seulement, car l’annonce de ce nouvel ordre fiscal mondial sonne comme un camouflet pour les Européens. Souvenons-nous. C’était à l’automne 2009, il y a près de douze ans, dans les soubresauts de la crise financière. Nicolas Sarkozy annonçait fièrement en marge du G20 de Pittsburgh un « miracle » : « On a obtenu la fin des paradis fiscaux ». Un peu plus tard, François Hollande, lui, affirmait durant la campagne de 2012 : « J’interdirai aux banques françaises d’exercer dans les paradis fiscaux. » Un engagement resté lettre morte.

Emmanuel Macron, à son tour, s’attaque au sujet sous un autre angle, celui des « Gafa », en 2019 : « Les acteurs mondiaux du numérique ne contribuent pas fiscalement au financement du bien commun, ce n’est pas soutenable », déplore-t-il juste avant le G7, qui se tient à Biarritz.

« Il faut arrêter d’avoir des gens qui sont dans un statut de paradis fiscal permanent. Si vous êtes un géant du numérique, vous faites votre activité en France, vous ne payez rien. Vous payez sur vos droits d’auteur ou de propriété intellectuelle en Irlande, au plus bas taux, vous transférez sans taxe d’Irlande aux Pays-Bas. Et avec un accord entre les Pays-Bas et des paradis fiscaux, vous mettez le cash dans ces paradis fiscaux », détaille-t-il, pédagogue.

Comme le souligne le président français, la difficulté de l’exercice est pour une large part européenne : les fauteurs de concurrence fiscale déloyale appartiennent à l’Union, une institution dans laquelle les décisions sont prises à l’unanimité. Pour contourner la difficulté, c’est l’OCDE qui est chargée de faire avancer le dossier. Pas facile alors que les États-Unis de Trump font de l’obstruction et que l’Europe, autre entité de poids au sein de l’Organisation qui compte 37 pays membres, est paralysée par la trop fameuse règle de l’unanimité.

C’est finalement l’alternance à Washington qui ouvre de nouvelles perspectives. Joe Biden sait que le parti démocrate a besoin de reconquérir l’électorat populaire. Il doit aussi financer son giga plan de relance post-Covid. À quoi tient la marche du monde !

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