Dubaï Papers : « il faut viser les organisateurs de l’évasion fiscale » selon Attac

Dubaï Papers

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A l’initiative d’Attac-Wallonie Bruxelles, des associations et citoyens ont déposé une plainte déontologique contre deux avocats et un expert-comptable impliqués dans le scandale révélé par « L’Obs ». Christian Savestre, qui coordonne l’action, nous explique pourquoi.

Les révélations des Dubaï Papers par L’Obs et ses quatre partenaires (Radio France, France 3, le groupe suisse Tamedia et Paris-Match Belgique), sur les dessous d’une gigantesque filière européenne d’évasion et de fraude fiscales, a entraîné une mobilisation citoyenne sans précédent en Belgique, sous l’impulsion d’Attac Wallonie-Bruxelles. La pression devient d’autant plus forte dans le contexte de récession économique post -Covid : l’évasion fiscale, nous rappelle Christian Savestre, membre de l’ONG en Belgique, représente un manque à gagner de 30 milliards d’euros chaque année en Belgique, soit 6 % du PIB du pays en 2019 (100 milliards d’euros en France selon des syndicats). Interview.

DOSSIER - Toutes les révélations de « L’Obs » sur les Dubaï Papers

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Pourquoi avoir lancé fin 2019 votre campagne de mobilisation citoyenne, intitulée « portons plainte contre les organisateurs de l’évasion fiscale ! » ?

Avec la publication des Dubaï Papers, nous avons saisi l’opportunité de viser les organisateurs de l’évasion fiscale que sont les avocats et les experts-comptables. Sans eux, et sans les commissaires aux comptes, l’évasion fiscale n’est pas possible. Or les principaux protagonistes des Dubaï Papers que sont le prince Henri de Croÿ et l’avocat fiscaliste Thierry Afschrift, bien connus en Belgique mais aussi au Luxembourg et en France, apparaissaient déjà dans une affaire dite des « sociétés de liquidité » (l’un des principaux scandales d’évasion fiscale en Belgique, N.D.L.R.). Cette dernière enquête a duré vingt ans, de 1995 et 2015, et les acteurs, qui avaient été condamnés assez fortement en première instance, ont tous fini par être blanchis. En mettant en parallèle ces deux affaires, on a réalisé que les protagonistes, alors qu’ils se défendaient dans le procès des sociétés de liquidités, continuaient tranquillement leur travail d’évasion fiscale. On s’est dit que si les informations contenues dans les Dubaï Papers avaient été connues à l’époque, le jugement aurait sans doute été différent.

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Les organisateurs de l’évasion fiscale bénéficient-ils d’une sorte d’impunité ?

Dans ces affaires d’évasion fiscale, on parle beaucoup des bénéficiaires, surtout quand ils sont célèbres, et très peu des organisateurs. Dans les Dubaï Papers, nous avons affaire à des artisans de luxe de l’évasion fiscale, que sont les avocats Thierry Afschrift et Arnaud Jansen, et le fiscaliste Guy Ollieuz (ils sont présumés innocents, une enquête pénale est en cours en Belgique, N.D.L.R.). Mais derrière eux, nous visons les gros industriels de l’évasion fiscale, les fameux big Four (Deloitte, PWC, EY -ex Ernst and Young, KPMG). Des cabinets d’audit qui, à eux quatre, comptent 1,1 million de salariés dans le monde, spécialistes notamment du conseil fiscal. Ces quatre industriels sont implantés dans tous les paradis fiscaux du monde y compris les plus exotiques. Or la seule fois où ces big Four ont été cités dans une affaire d’évasion fiscale, c’était Pricewaterhouse Cooper (PWC) dans les LuxLeaks en octobre 2014. Mais personne n’a porté plainte contre PWC au Luxembourg, même pas une plainte déontologique. Et c’est le lanceur d’alerte Antoine Deltour, ancien salarié de PWC, qui s’est retrouvé au tribunal et qui a dû se bagarrer pendant cinq ans (condamné en première instance puis en appel, il a fini par être relaxé par la Cour de cassation, N.D.L.R.).

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Dans le dossier des Dubaï Papers, vous avez fait le choix de déposer une plainte non pas pénale, mais déontologique, auprès de l’ordre francophone du barreau de Bruxelles et de l’Institut des experts-comptables. Pourquoi ?

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Ce sont des plaintes disciplinaires déposées auprès des ordres de professionnels qui disposent d’un code de déontologie. Ce que nous leur demandons, c’est à partir des faits révélés par les Dubaï Papers, de vérifier si ces professionnels ont dérogé au code. On peut considérer que ces plaintes sont symboliques, car il n’y aura pas de réparation financière, mais une sanction disciplinaire qui peut aller de la suspension temporaire à la radiation. Mais c’est rapide, cela ne coûte pas d’argent, et on voit bien comment se terminent les plaintes au pénal : les bénéficiaires et les organisateurs négocient des pénalités avec l’administration fiscale, et cela ne fait pas la Une des médias.

A ce jour, 250 citoyens et 460 associations ont déposé plainte. Le mouvement prend de l’ampleur, nous visons 1 000 plaintes individuelles. Et ce qui est remarquable, c’est que ces plaintes ont été jugées recevables par l’ordre des avocats et par l’institut des experts-comptables qui ont lancé des enquêtes internes. Nous attendons dans les jours prochains un retour de l’ordre des avocats et nous préparons une plainte de même nature à déposer auprès de l’ordre des commissaires aux comptes.

Les Dubaï Papers ont permis de révéler un rôle similaire d’avocats et d’experts-comptables français. Est-ce qu’une procédure du même type pourrait voir le jour en France ?

Pour l’instant, on a été beaucoup pris par les démarches en Belgique. Mais nous allons prendre contact avec Attac France et nous pensons qu’à la lumière des informations révélées dans l’Obs, il pourrait y avoir le même type de plaintes en France, voire dans d’autres pays de l’Union européenne. Nous voulons sensibiliser les citoyens au problème de l’évasion fiscale, qui devient un problème insupportable dans le contexte post-Covid 19. Ce n’est pas pour rien que des associations qui interviennent dans la santé nous ont rejoints dans notre démarche. Dans un contexte de définancement des hôpitaux, nous avons tous besoin de lutter contre l’évasion fiscale.

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