Des habitants marchent dans une rue piétonne de Paris, au premier jour d'un nouveau confinement partiel dans la capitale française à cause de la pandémie de Covid-19, le 20 mars 2021

Des habitants marchent dans une rue piétonne de Paris, au premier jour d'un nouveau confinement partiel dans la capitale française à cause de la pandémie de Covid-19, le 20 mars 2021

afp.com/ALAIN JOCARD

Mars 2020. Premier confinement. Un bac+5 en Médias et Communication en poche, Maxime Frechet se retrouve, en pleine pandémie, confronté à des difficultés d'insertion sur le marché de l'emploi. "Seul chez moi à ne rien faire, mon unique jouet a été mon cerveau. Je me suis dit que c'était le bon créneau pour faire mûrir mes réflexions", explique aujourd'hui le jeune homme de 25 ans, désormais à la tête d'une agence de marketing digitale en Saône-et-Loire, créée il y a un an. "Le Covid a fait naître une vocation et c'est génial !", s'exclame-t-il. Que ce soit pour créer son entreprise, entamer une reconversion, changer d'emploi, déménager ou encore faire évoluer sa relation amoureuse, ce moment de pause obligatoire a déclenché une multitude de changements de vie.

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Preuve en est la plateforme Histoires de crises, lancée par l'Institut COVID 19 Ad Memoriam, où sont collectés les témoignages de Français marqués par la pandémie. "Son principal impact a été de redéfinir notre rapport au temps en permettant à beaucoup de personnes de ralentir le rythme et de revisiter ses priorités de vie", explique l'anthropologue et présidente de l'Institut, Laëtitia Atlani-Duault, qui considère ce point de bascule comme une "rupture anthropologique". "Je ne pourrais pas revenir en arrière", déclare même Maxime Frechet, heureux d'avoir compris ce qui est essentiel pour lui et ce qui le restera : "Le cheminement était long mais salvateur."

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Le point commun entre toutes les personnes qui, comme Maxime, ont entamé un changement de vie suite au Covid ? Le bonheur de s'être lancé. "J'ai gagné en sérénité. Je peux me dire que j'ai une vie qui me correspond", se réjouit également Jonathan Munoz, aujourd'hui consultant en recrutement pour le Mercato de l'Emploi en Charente, et à son compte. "A l'époque, je me disais : 'Si tu ne le fais pas, tu regretteras peut-être', raconte-t-il. "Je ne voulais pas me poser cette question, donc j'ai suivi ce motto : 'Vas-y et tu verras'". Avec le Covid, c'était maintenant ou jamais. Alors, après douze ans en tant que directeur du cabinet du maire de Cognac - et tandis qu'il était pressenti pour être son nouvel adjoint, Jonathan Munoz se lance dans son projet d'entreprise. Pour la coach de vie Oriane Savouré-Lucas, qui aide quotidiennement ses clients à déployer leurs projets, "le Covid a fait voler en éclats les repères et les certitudes. Il y a eu un effet miroir et un effet loupe : les gens se sont regardés et beaucoup ont mesuré ce besoin de vivre mieux sans attendre mais en prenant en compte leurs envies du moment". Ne pas attendre le CDI, ne pas attendre que les enfants grandissent, ne pas attendre la retraite...

Se recentrer sur soi

Outre la satisfaction d'avoir osé, les concernés disent se sentir capables, comme le confirme Oriane Savouré-Lucas : "En opérant ces changements, ils choisissent de reprendre les rênes et c'est extrêmement nourrissant parce que ça ravive la flamme". "Je me lève tous les matins en ayant le sourire. Je me sens vivre en faisant grandir mon entreprise. C'est un accomplissement personnel", exulte Maxime Frechet en mentionnant la récente obtention de locaux et son souhait de se dégager prochainement un salaire. Comme lui, de nombreuses personnes tentent de donner un nouvel élan à leur travail : selon un baromètre Elabe pour l'Unedic publié en décembre, 58% des actifs actuellement en emploi ont au moins un projet de changement professionnel. "Désormais, il s'agit de partir de soi et de se tisser un costume sur mesure en fonction des envies du moment", illustre Oriane Savouré-Lucas.

Lorsque Vivian Battoni, son mari et leur fille de trois ans et demi ont quitté Lyon pour une petite ville d'Ardèche, laissant derrière eux les embouteillages et la pollution, l'objectif était de maintenir une certaine tranquillité. "La priorité, c'est de ne pas blinder notre agenda. On n'a plus tout le temps l'oeil sur la montre", explique-t-il depuis l'atelier où il coud de la lingerie féminine bio pour sa marque lancée il y a six mois avant d'énumérer les avantages : "Je ne vais plus chercher ma fille à la dernière minute à la crèche, je peux l'emmener voir son père sur des chantiers et j'ai pu reprendre la danse deux fois par semaine..." En plus de voir sa fille grandir, il profite davantage avec son mari : "A Lyon, on avait l'impression d'être des parents, là on est aussi un couple", déclare-t-il, détendu.

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Du temps pour faire "mieux plutôt que trop", selon les mots d'Oriane Savouré-Lucas, c'est aussi ce qu'a gagné Ludovic Brossy en déménageant dans le Lot après vingt ans sur la Côte d'Azur. Il fait partie des 11% de Français à avoir changé de domicile en 2021, selon le baromètre Les déménageurs bretons, avec l'Institut IFOP. Cette année, 13% envisagent également de sauter le pas. L'Occitanie, d'où est justement originaire Ludovic Brossy, est actuellement la deuxième région qui attire le plus les "néo-ruraux". De son accent chantant, l'homme de 50 ans raconte à quel point il est heureux de voir ses trois enfants élevés à la campagne, même si "financièrement, ce n'était pas une belle opération". L'équipementier télécom et sa femme, professeur d'anglais qui ne travaille plus en attendant sa mutation, ont perdu deux tiers de leurs revenus communs, sans compter les 25 000 euros d'économie budgétés pour ce changement de vie. Mais pour lui, peu importe : "Cette expérience nous a rappelé les choses importantes. On ne travaille plus comme des ânes pour se payer des trucs. On travaille et puis on profite, c'est tout", affirme-t-il.

Contentés, malgré les difficultés

D'autres, au contraire, ont vu leur charge de travail augmenter. Six jours sur sept, Stéphanie Holleville parcourt 45 kilomètres pour se rendre dans sa cordonnerie, à Blois. Sa fille, elle, reste avec ses grand-parents. "Sans leur aide, je n'aurais pas pu me mettre à mon compte", raconte la mère célibataire de 36 ans, propriétaire de sa boutique depuis septembre 2021. Si l'ancienne serveuse admet "donner beaucoup de [son] temps au magasin", elle se dit "très contente d'avoir trouvé [sa] voie", sacrifices compris.

"Il y a ceux qui se sont lancés et sont enchantés et ceux qui ont pris une douche froide et ont besoin de rebattre leurs cartes pour construire la suite du projet, temporise toutefois Oriane Savouré-Lucas avant de noter : "Changer de vie prend du temps. Mes clients d'aujourd'hui arrivent avec des questionnements qui les taraudent depuis mars 2020". Deux ans plus tard, *Thibault cherche encore sa voie. Après quatre ans en tant que secrétaire de rédaction dans un journal, il pensait trouver l'humain et le concret qu'il cherchait en devenant professeur des écoles. Mais après avoir obtenu le diplôme, il s'est senti désarmé en classe et a souhaité couper court. Il est actuellement en arrêt maladie et vient de postuler dans son ancienne entreprise. "Il y a parfois cette illusion que si on change de travail, de lieu d'habitation ou de conjoint, alors tout ira mieux", prévient Oriane Savouré-Lucas. Et quand ce n'est pas le cas, un sentiment d'échec peut naître : "Est-ce que je vais arriver à trouver ma place quelque part ?", se demande souvent Thibault. Pourtant, malgré le flou dans lequel il nage encore, il n'a aucun regret. "Je suis content d'avoir franchi le pas, si c'était à refaire, je le referais", affirme l'homme de 41 ans.

Un changement de vie parfois mal compris par l'entourage proche. "Mes parents ne comprennent toujours pas", déplore ainsi *Nadine, qui a décidé, en septembre 2020, d'envoyer balader sa vie d'alors. Depuis, elle a vendu ses parts dans sa société de juriste, sa villa en bord de mer et son SUV au profit de l'investissement immobilier, d'une maison moitié moins grande et d'une voiture plus modeste : "Je vis différemment, mais c'est beaucoup plus en harmonie avec qui je suis", explique cette femme de 46 ans. A condition de faire fi du regard des autres : "Avec mon mari, on a un peu honte de profiter comme ça", avoue-t-elle. Mais l'anthropologue Laëtitia Atlani-Duault reste confiante : "Ces changements entraîneront peut-être une valorisation de la prise de risque et de l'éventualité de l'échec comme façon d'apprendre et de rebondir. Surtout qu'aujourd'hui, ceux en capacité de le faire ne sont peut-être pas représentatifs de la population française. Beaucoup de ceux qui le projettent vivent dans des réalités économiques, familiales, géographiques qui les en empêchent à court terme. Donc je pense que ces changements là n'ont pas fini de se mettre en place".

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