Les nouveaux enjeux des directeurs marketing [Enquête]

Plus de digital, de données à traiter, des clients dont les attentes changent et se contredisent parfois… La fonction de directeur marketing connaît de profondes mutations. Enquête auprès de ces professionnels de la grande conso.

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Les nouveaux enjeux des directeurs marketing [Enquête]
Priorité à la croissance et à l'expérience client
En tant que responsable marketing, quelle est, selon vous, votre principale tâche ?
  • 42 % des responsables marketing ont l’expérience client rattachée à leur service (27 % en France)
  • 8 % des grandes entreprises n’ont plus de directeur marketing groupe, surtout dans la grande conso
Source : étude Forrester 2019, 1 960 professionnels sondés

Qu’ont en commun les directions groupe des entreprises Coca-Cola, Unilever, Walmart, Kellogg’s ou encore Johnson & Johnson ? Réponse : elles n’ont plus de directeur marketing ! La fonction reine qui orchestre la stratégie des ventes serait-elle en voie de disparition ? Assurément non. Mais son évolution est telle que certaines sociétés choisissent d’autres intitulés de poste, résultat, le plus souvent, d’une nouvelle stratégie. Certaines privilégient le rôle de chief growth officer (CGO),à l’instar du siège de Coca-Cola aux États-Unis, valorisant ainsi les objectifs de ventes de ce service.

Diversifier les profils

D’autres nomment un chief customer officer (CCO) pour valoriser l’approche client, ou ­intègrent le marketing dans un pôle plus large. Ainsi, au siège d’Unilever, le vice-président customer development englobe à la fois le marketing, le trade marketing, les grands comptes et le category management. Côté distributeurs, les périmètres s’élargissent à vue d’œil : « Nous assistons à une vague de recrues qui viennent aussi pour mettre en cohérence l’omnicanalité des entreprises », souligne Lorraine Kron du Luart, partner spécialisée en retail pour le cabinet de recrutement Salmon & Partners.

Un bouleversement que l’on retrouve dans les mouvements de la grande conso en 2019 : Phuong Leleu est devenue directrice marketing et membre du Comex chez Monoprix, Laurent Rapoport monte dans le groupe Casino et devient directeur marketing et e-commerce de Franprix, Anne-Marie Gaultier a rejoint Intermarché alimentaire, Chrysoline Deprez (Phildar), Christine Delfaut-Sara (Nuxe), Julie London (Oscaro), Vincent Bouin (Coca-Cola), Antoine Susini (Heineken), Caroline Grenthe (Moët-Hennessy), Vincent Bruart (Sucralliance)… Autant de nouveaux noms – et profils – qui redessinent les contours de la fonction. Cette valse dévoile, en creux, les nouveaux défis auxquels doit répondre ce poste clé.

Écouter la voix du client

« Le propre du marketing, c’est de se réinventer en permanence, Coca-Cola en est un excellent exemple », soutient Vincent Bouin, fraîchement nommé à la direction marketing de la société dans l’Hexagone. Lui fréquente les couloirs de l’entreprise depuis vingt ans et a vu bouger l’organisation de la firme américaine mondialement connue pour sa boisson. D’abord, le marketing, qui appliquait traditionnellement les « 4 P » (produit, prix place et promotion) a élargi son domaine de compétence pour intégrer le pôle études puis le digital. Coca-Cola a ensuite amorcé un mouvement de globalisation. Les décisions concernant le marketing basculent alors au siège, à Atlanta, les divisions marketing par pays se recentrant sur l’adaptation locale. « Il y a une dizaine d’années, le groupe a créé des clusters, dont la division Europe de l’Ouest, estimant que les consommateurs de cette zone avaient des habitudes et des comportements communs », explique Vincent Bouin. Une organisation nouvelle par zone de clients qui s’accompagne, en France, d’un responsable marketing ingénieur de formation en analyse des données… Afin, justement, de rendre intelligibles et utilisables les nombreuses données récoltées sur ces consommateurs.

  • Cibler plus finement

Coté retail, des organisations centrées sur le consommateur émergent aussi : « L’enjeu des distributeurs est de passer d’un marketing de masse à un marketing plus fin, tourné vers l’individu. Tous n’ont pas la même maturité dans ce domaine, ni les mêmes moyens », concède Bertrand ­Bodineau, à la tête du retail dans le cabinet de recrutement Michael Page. L’étude de Forrester, qui a sondé plus de 1 960 professionnels du marketing dans le monde, apporte des éléments d’explication à cette disparité : « En France, l’expérience client n’est pas encore une vraie discipline d’entreprise. C’est d’ailleurs dans ce pays que l’on constate le plus faible taux de responsables marketing qui se disent chargés de l’expérience client : 27 %, contre 42 % en moyenne. L’autre facteur explicatif est l’absence d’évolution organisationnelle et culturelle profonde dans les entreprises françaises », pointe Thomas Husson, VP et analyste chez Forrester.

  • Redéfinir les périmètres

« Le marketing stratégique devient hypertrophié à force de gérer de plus en plus de sujets. À mon sens, une direction ”marketing client” devrait se dégager de son périmètre, laissant au marketing stratégique le positionnement de l’enseigne et le cadrage de toutes les décisions induites, et au marketing opérationnel l’offre et l’animation commerciale », estime Stéphane Tubiana, ­chargé de la distribution chez Roland Berger, érigeant en modèle Tesco, qui a bâti une direction client spécifique. En France, parmi les plus avancés, Boulanger a remodelé il y a un an son organigramme, nommant en la personne de Daniel Broche un chief customer officer, poste directement rattaché à la direction générale. Son département regroupe à la fois le marketing, les partenariats, l’expérience client, les datas et l’innovation. « La diversité des métiers et des compétences au sein de ce collectif permet d’enrichir la culture client de chacun, cela transforme notre façon de construire la marque », indique son directeur.

Déterminer le bon niveau de décision

À quel échelon se jouent les décisions marketing ? La réponse varie selon les organisations mises en place : « Dans les grands groupes, on voit des mouvements de va-et-vient entre la volonté de globaliser ou de responsabiliser les échelles locales. En général, le groupe pilote la stratégie et les pays ont davantage un suivi opérationnel », expose Anne Besson, senior marketing director pour Lego. Deuxième scénario possible, chez Nestlé, Jérôme François chapeaute le marketing pour l’ensemble des marques du groupe helvétique. Il gère en direct une équipe de 40 experts sur des sujets comme l’innovation, les études, la nutrition, le service consommateurs, l’analyse sensorielle… « Dans mon équipe, j’ai autant d’ingénieurs que de marketeurs ! », constate ce chief marketing officer (CMO). Si les sociétés filiales gèrent leur marketing, l’équipe de Jérôme François intervient, elle, pour l’expertise et les cas particuliers : « J’appelle mes collaborateurs des “brand doctors” car ils agissent comme des spécialistes dans la santé : on ne les voit pas au quotidien, uniquement pour des besoins spécifiques », précise-t-il. Comme chez Nestlé, beaucoup de grands noms opèrent les décisions marketing à deux niveaux : « Nous avons une organisation matricielle, confirme Sophie Rivière Terrin, directrice de catégories Europe pour McCormick (Ducros, Vahiné…). J’ai donc des reportings par pays et par fonction avec le groupe, puisque le marketing se joue sur ces deux échelles », nous explique-t-elle. Objectif : créer un maximum de synergies au niveau groupe et éviter les doublons entre le siège et ses antennes.

  • Laisser l’initiative

Un équilibre pas toujours simple, les budgets marketing étant, par exemple, scindés par pays et par direction. À contre-courant, Intersnack (Vico, Curly, etc.) représente une troisième voie, proche des entreprises plus petites : « Notre groupe a fait le choix de laisser les pays décisionnaires, ce qui est plutôt rare ! L’échelle européenne a davantage un rôle de conseil, mais je reste responsable de la stratégie marketing et de son exécution, y compris sur les sujets d’innovation, de digital et de RSE », relate Sophie Van Eeckhaute, sa directrice marketing. Dans le secteur de la distribution, le sort de la direction marketing est étroitement lié à celui du digital, des entreprises comme Carrefour, Etam et Maisons du monde recrutant des profils expérimentés dotés de ces deux compétences : « Dans le retail, le marketing ne comptait pas parmi les fonctions les plus nobles, mais il s’est renforcé dans les années 2000 grâce aux savoir-faire des industries agroalimentaires, note Édouard-Nicolas Dubar, partner pour le cabinet de chasseur de têtes Elsinore. Aujour­d’hui, le digital lui est le plus souvent rattaché et il prend même parfois l’ascendant sur le marketing », prévient l’expert.

Intégrer les données

Ce qui change avec la déferlante du digital et des datas dans la façon de travailler du marketing ? Absolument tout ! Dans la communication, axe central du marketing, la production de contenus explose pour alimenter les réseaux sociaux, au point même pour certains groupes d’intégrer des studios en interne (ÏDkids) ou d’accueillir des prestataires dans leurs locaux pour travailler ensemble et plus rapidement (Nestlé). « Avec les réseaux sociaux, nous avons arrêté de sous-traiter la recherche de tendances à des agences, car nous pouvons le faire par nous-mêmes, constate Anne Derbès, directrice marketing d’Henkel. Plus globalement, avant, nous devions chercher l’information, aujourd’hui elle existe partout et en masse. On a donc un travail de sélection à réaliser pour organiser ces données », ajoute la responsable. Autre pan de la fonction qui s’est complexifié : les achats médias, réalisés de plus en plus souvent en programmatique (c’est-à-dire selon les cibles visées). « L’achat média est devenu très complexe, il suppose de faire confiance à des agences dont on ignore tout du métier ! », constate Catherine De Bleeker, directrice de marque d’Oxybul éveil et jeux.

  • Travailler avec de nouveaux acteurs

Pour Sophie Rivière Terrin (McCormick) également, les datas font beaucoup évoluer son champ d’action : « Avant, nous travaillions avec des données comportementales et liées principalement au moment de l’acte d’achat. Désormais, on peut analyser l’amont du parcours d’achat et suivre le quotidien des shoppers bien au-delà de la catégorie, et donc affiner la compréhension de notre cible. Notre métier dépasse désormais le domaine des produits ou de la marque pour englober une approche omnicanale », avance-t-elle. L’omnicanalité est justement le maître mot de la génération de directeurs marketing aux ­manettes dans la grande consommation : « Aujour­d’hui, la maîtrise du digital et la compréhension des datas sont impératives pour les postes de directeur marketing, ce n’est plus une option », certifie Lorraine Kron du Luart. Le parcours d’Anne-Marie Gaultier, venue remplacer Caro­line Puechoultres (partie chez Carrefour) à la tête du marketing et de la communication d’Intermarché et de Netto, en témoigne. Elle a débuté au Club Med et à Bouy­gues Telecom, est passée par les Galeries Lafayette et a ­cocréé une start-up, Datakalab, qui s’appuie sur la transcription en datas des émotions des consommateurs. « Les datas changent à mon sens principalement deux choses, avance Anne-Marie Gaultier. D’une part, le marketing de l’influence devient primordial et il suppose de travailler avec des acteurs nouveaux (leaders d’opinion, influenceurs, associations, ONG etc.). D’autre part, les datas rendent tous les métiers du marketing plus techniques. Je dois donc m’entourer d’experts stratégiques ­capables de comprendre ce qu’elles apportent et d’avoir une vision pour les intégrer dans une stratégie », indique-t-elle. « L’enjeu en interne est de faire monter en compétence les équipes, complète Élodie Perthuisot, CMO de Carrefour. En ce sens, le partenariat noué par Carrefour avec Google a permis aux équipes de grandir rapidement sur le digital. Google a créé de nombreux modules de formation pour nous. » Chez Lego, la Marketing Academy est née afin de répondre à ce besoin en formation, l’équipe dédiée au digital partageant son travail auprès des équipes marketing, entre autres.

S’organiser autrement pour aller plus vite

Quand on évoque les changements dans leur entreprise, tous les directeurs marketing l’assurent : le rythme de production s’accélère considérablement ! « La phase la plus longue maintenant, c’est l’anticipation. On peut sortir un produit en quelques mois, c’était impensable quand je suis arrivée chez Henkel ! », compare Anne Derbès. Cette agilité s’accompagne de nouvelles méthodes de travail. « Avant, nous travaillions en séquentiel. Nous montions un projet sur un an, voire plus, confie Sophie Rivière Terrin. À présent, on se met ”en mode sprint” dès le départ, avec une équipe constituée de 4 ou 5 personnes. On émet des hypothèses qu’on teste et on affine au fur et à mesure. » Conséquence, les budgets et les effectifs ­dédiés changent aussi quasiment en temps réel.

  • Booster les centenaires

« La réponse pour converger au sein des entreprises ne passe pas par l’organigramme mais par les méthodes de travail, précise Élodie Perthuisot. Chez Carrefour, nous travaillons en roadmap. Les projets évoluent ensuite en temps réel selon l’appropriation des clients. » Pour gagner en agilité, les ­acteurs de la grande conso peuvent compter sur deux alliés prêts à les bousculer. Les start-up, championnes des équipes réduites et des processus décisionnels courts, travaillent de plus en plus avec marques et enseignes et font tache d’huile sur leur organisation. Les millennials, jeunes entrants sur le marché du travail, ont grandi avec le digital et regardent les jeunes pousses avec un intérêt non feint. Tous entendent bien dépoussiérer les entreprises de la grande conso, parfois centenaires.

Trois recrutements qui incarnent le renouveau des directeurs marketing
  • Daniel Broche, un PRO de l’e-commerce chez Boulanger
Daniel Broche, ingénieur de formation, a débuté sa carrière chez France Télécom. Il a ensuite évolué dans le conseil chez Alma Consulting Group, est resté près de neuf ans chez le pure player Discounteo, puis chez GPdis. Avant de prendre, début 2019, la tête de la nouvelle BU dédiée au client, qui regroupe le marketing, les partenariats, les datas et l’expérience client, il a fait ses armes chez Boulanger en tant que responsable de l’e-commerce et de l’innovation, puis à la stratégie.
  • Vincent Bouin, un ingénieur spécialiste des données chez Coca-cola
Sa formation ? Ingénieur en analyse de données. Son atout phare ? Une maîtrise complète de Coca-Cola, société dans laquelle il évolue depuis vingt ans. Autant dire que Vincent Bouin était la recrue toute trouvée pour renouveler la fonction de directeur marketing au sein de l’entreprise. Comme dans de nombreux groupes, le périmètre du poste s’élargit : il inclut plus d’études, la lecture et justement l’analyse des données. Il s’intéresse aussi plus qu’avant aux ventes. Juste avant cette nomination, Vincent Bouin était d’ailleurs directeur commercial.
  • Antoine Susini, expert de la présence digitale chez Heineken
Antoine Susini a pris les rênes de la direction marketing France de la griffe néerlandaise cet été. Ce diplômé de Sciences Po Paris et de HEC a effectué toute sa carrière au sein de l’entreprise spécialisée dans la bière ! D’abord en tant que manager marketing. Il devient ensuite responsable du planning stratégique insights, se forgeant ici une expérience précieuse sur les données et sur la présence des marques online. Il prend ensuite la tête de l’innovation et dirige un lot de marques haut de gamme. Sa nouvelle mission : assurer le développement de 18 marques pour l’ensemble des circuits de vente.

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