En Ille-et-Vilaine comme partout en France, les mesures gouvernementales de soutien aux entreprises pendant la crise sanitaire ont fait chuter le nombre de redressements et de liquidations judiciaires. Mais après cette parenthèse, les chiffres sont repartis à la hausse à partir de 2022. Sur le périmètre du tribunal de commerce de Rennes, l’année 2023 a même vu le nombre de dossiers dépasser celui de 2019, avec 552 procédures collectives ouvertes contre 456 quatre ans auparavant. Mais pas d’alarmisme. À plusieurs reprises, la Banque de France en Bretagne a expliqué que ces défaillances concernaient essentiellement des très petites entreprises, avec peu ou pas de salariés.
Depuis fin 2023, la donne a changé, car plusieurs PME, employant entre 20 et 60 salariés, ont été contraintes de passer par la case « redressement judiciaire ». « On voit plus de dossiers significatifs qu’auparavant, reconnaît le directeur général du Crédit agricole d’Ille-et-Vilaine, Jean-Yves Carillet. On en avait moins de 10 fin 2023, on devrait être autour de 20 fin 2024. » En cause : l’inflation sur les matières premières, la baisse du pouvoir d’achat, la guerre en Ukraine et le remboursement des prêts garantis par l’État (PGE) contractés pendant la covid. Un cocktail détonant, qui pèse sur la rentabilité et la trésorerie des entreprises.
Schmitt TP, Gaïago, Les Recettes de Tinténiac…
Parmi les PME récemment placées en redressement judiciaire en Ille-et-Vilaine, on trouve notamment l’entreprise de terrassement et de démolition Schmitt TP. Basée à Betton, au nord de Rennes, la société emploie 41 salariés pour un chiffre d’affaires de 8,4 M€. On peut également citer le spécialiste des produits de revitalisation des sols et des biostimulants Gaïago (58 salariés et 5,7 M€ de CA), la librairie Le Forum du livre à Rennes (26 salariés, 4,7 M€), l’entreprise spécialisée dans la préparation de produits à base de viande Les Recettes de Tinténiac (14 salariés pour 2,8 M€) ou encore le fabricant de remorques agricoles Demarest à Piré-sur-Seiche (23 salariés et 2,6 M€).
On ne peut pas parler de lame de fond
Si ce genre d’entreprises passaient jusqu’ici sous les radars, « on ne peut toutefois pas parler de lame de fond », relativise Laurent Méar, le patron d’une nouvelle agence de la Banque populaire Grand Ouest dédiée aux entreprises en procédure collective. Même son de cloche du côté du président du tribunal de commerce de Rennes, Clément Villeroy de Galhau : « Certes on voit quelques entreprises un peu plus grosses qu’avant, mais ce n’est pas non plus un changement drastique ».
« Pas de casse sociale ou économique »
Par ailleurs, « on ne constate pas de casse sociale ou économique importante », souligne Jean-Yves Carillet. À ce stade, aucune des PME placées en redressement judiciaire n’a licencié massivement, aucune n’a été liquidée et aucune n’est assez grande pour qu’une fermeture ait un impact significatif sur l’emploi dans le bassin bretillien.
S’agissant de ces grandes entreprises justement, Clément Villeroy de Galhau avait indiqué en début d’année que 10 sociétés de plus de 150 salariés avaient été placées sous mandat ad hoc, une procédure préventive de règlement amiable des difficultés. Si, généralement, 30 % de ces mandats se transforment en redressement judiciaire, « pour le moment on ne les a pas vus et rien ne dit qu’on les verra », rassure le président du tribunal de commerce. La plupart parviennent en effet à obtenir des accords amiables avec leurs financeurs pour étaler le remboursement de leur dette. Le sujet est toutefois « surveillé comme le lait sur le feu ».
Pour l’instant, les entreprises du bâtiment ont su s’ajuster, mais elles peuvent souffrir si la reprise tarde
Bâtiment et commerce à la peine
Plusieurs secteurs concentrent les inquiétudes. En premier lieu le bâtiment, confronté à une baisse d’activité liée à la crise du logement neuf. « Pour l’instant, les entreprises ont su s’ajuster, baisser leurs charges, étaler leur dette, mais elles peuvent souffrir si la reprise tarde », prévient Jean-Yves Carillet, du Crédit agricole. Le textile et le commerce de détail sont également dans le viseur. Par ailleurs, relate le président du tribunal de commerce de Rennes, « toutes les semaines depuis plusieurs mois, j’ouvre des mandats de prévention pour des start-up ». Des entreprises qui n’ont pas encore trouvé la rentabilité et qui peinent à lever des fonds sur un marché de l’investissement plus frileux qu’auparavant.